A.− [La passion de l'amour comme telle] Aimer d'amour : 111. Ce que nous appelons proprement amour parmi nous, est un sentiment dont la haute Antiquité a ignoré jusqu'au nom. Ce n'est que dans les siècles modernes qu'on a vu former ce mélange des sens et de l'ame, cette espèce d'amour, dont l'amitié est la partie morale. C'est encore au christianisme que l'on doit ce sentiment perfectionné; c'est lui, qui tendant sans cesse à épurer le cœur, est parvenu à jeter de la spiritualité jusques dans le penchant qui en paroissoit le moins susceptible.
F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 1, 1803, p. 373.
112. Nous n'envisageons l'amour que comme une passion de la même nature que toutes les passions humaines, c'est-à-dire ayant pour effet d'égarer notre raison, ayant pour but de nous procurer des jouissances. Les Allemands voient dans l'amour quelque chose de religieux, de sacré, une émanation de la divinité même, un accomplissement de la destinée de l'homme sur cette terre, un lien mystérieux et tout-puissant, entre deux ames qui ne peuvent exister que l'une pour l'autre. Sous le premier point de vue, l'amour est commun à l'homme et aux animaux. Sous le second, il est commun à l'homme et à Dieu.
B. Constant, Wallstein,1809, p. XLIV.
113. Mais si vous êtes une nature exaltée, croyant à des rêves et voulant les réaliser, je vous réponds alors tout net : l'amour n'existe pas. Car j'abonde dans votre sens, et je vous dis : aimer, c'est se donner corps et âme, ou, pour mieux dire, c'est faire un seul être de deux.
A. de Musset, La Confession d'un enfant du siècle,1836, p. 57.
114. Quand on aime, on aime tout. Tout se voit en bleu quand on porte des lunettes bleues. L'amour, comme le reste, n'est qu'une façon de voir et de sentir. C'est un point de vue un peu plus élevé, un peu plus large; on y découvre des perspectives infinies et des horizons sans bornes.
G. Flaubert, Correspondance,1846, p. 264.
115. − Voulez-vous me définir l'amour, mon cher? − Parfaitement, − dit Demailly. − L'amour est − l'amour. − Non, − dit Lamperière. − L'amour est la femme. − C'est une opinion, − fit Grancey. − L'amour?... un fluide! − dit de Rémonville, − un phénomène d'électricité... Il y a des femmes laides qui dégagent l'amour. − Ne disons pas de mal des femmes laides, − dit Franchemont. − Quand une femme laide est jolie, elle est charmante! − En tout cas, − dit Grancey, − c'est une bien jolie imagination : c'est l'âme de tout ce qui n'est pas vrai.
E. et J. de Goncourt, Charles Demailly,1860, p. 195.
116. « L'amour, commença Phrasilas, est un mot qui n'a pas de sens ou qui en a trop, car il désigne tour à tour deux sentiments inconciliables : la volupté et la passion. Je ne sais dans quel esprit Faustine l'entend.
− Je veux, interrompit Chrysis, la volupté pour ma part et la passion chez mes amants. Il faut parler de l'une et de l'autre, ou tu ne m'intéresseras qu'à demi.
− L'amour, murmura Philodème, ce n'est ni la passion ni la volupté. L'amour c'est bien autre chose... »
P. Louÿs, Aphrodite,1896, pp. 134-135.
117. Le bien, c'est le bonheur, et surtout c'est l'amour, − l'amour, par où chacun de nous peut franchir sa limite, se confondre avec un autre être, et, par lui, avec l'universel. Voyez-vous, Marsal, l'intelligence, elle, se fait d'âge à âge, elle est à peine ébauchée. L'amour, lui, c'est une possession instantanée, mais pleine, mais surabondante, de tout ce qui nous dépasse. C'est notre minute d'éternité.
P. Bourget, Le Sens de la mort,1915, p. 281.
118. ... quand il s'agit de donner une définition d'un amour qui, d'une façon mystérieuse, mais non moins certaine, transcende la sensation, l'on est terriblement embarrassé; et cependant, il y a − et comme tous les grands Anglais, certains Allemands, l'ont su et senti − dans l'amour autre chose que ces floraisons brusques, ces tempêtes, ces coups de vent; il y a ce sentiment composite et comme indestructible, dans lequel joue non point du tout seulement ce qu'au moment même on éprouve, mais aussi tout ce qu'on a éprouvé, et non moins cette insaisissable garantie d'avenir : ...
Ch. Du Bos, Journal,mars 1925, p. 333.
119. ... « Si une idée paraît avoir échappé jusqu'à ce jour à toute entreprise de réduction, avoir tenu tête aux plus grands pessimistes, nous pensons que c'est l'idée d'amour, seule capable de réconcilier tout homme, momentanément ou non, avec l'idée de vie. Ce mot : amour, auquel les mauvais plaisants se sont ingéniés à faire subir toutes les généralisations, toutes les corruptions possibles (amour filial, amour divin, amour de la patrie, etc.), inutile de dire que nous le restituons ici à son sens strict et menaçant d'attachement total à un être humain, fondé sur la reconnaissance impérieuse de la vérité, de notre vérité « dans une âme et dans un corps » qui sont l'âme et le corps de cet être. »
A. Breton, Les Manifestes du Surréalisme,1930, pp. 172-173.
120. L'amour n'aime pas en vue d'une récompense, puisqu'il cesserait alors par le fait même d'être l'amour; mais il ne faut pas non plus lui demander d'aimer en renonçant à la joie que lui donne la possession de son objet, car cette joie lui est coessentielle; l'amour accepterait de ne plus être l'amour s'il renonçait à la joie qui l'accompagne. Tout amour vrai est donc à la fois désintéressé et récompensé; disons plus, il ne peut être récompensé que s'il est désintéressé, puisque le désintéressement est son essence même. Qui ne cherche dans l'amour d'autre prix que l'amour reçoit la joie qu'il donne; qui cherche dans l'amour autre chose que l'amour perd à la fois l'amour et la joie qu'il donne. L'amour ne peut donc exister que s'il ne demande point de salaire, mais il lui suffit d'être, pour être payé.
É. Gilson, L'Esprit de la philosophie médiévale,t. 2, 1932, p. 77.
121. « Aimer, aimer... je vais apprendre le verbe « désaimer ». Ce sera un peu difficile. Et il faudra beaucoup m'aider, petite amie. L'amour s'attrape comme une maladie et la sagesse s'apprend... »
J. Bousquet, Traduit du silence,1935-1936, p. 255.
122. ... il fut enfin capable de jugement, il se dit qu'il avait manqué l'amour, cette complicité de rire, d'érotisme, de secrets partagés, de passé et d'espoir, cette union pareille à un inceste permis, ce lien fort comme un lien venu de l'enfance et du sang, ...
P. Nizan, La Conspiration,1938, p. 194.
123. L'extase n'est pas amour : l'amour est possession à laquelle est nécessaire l'objet, à la fois possesseur du sujet, possédé par lui. Il n'y a plus sujet égale objet, mais « brèche béante » entre l'un et l'autre et dans la brèche, le sujet, l'objet sont dissous, il y a passage, communication, mais non de l'un à l'autre : l'un et l'autre ont perdu l'existence distincte.
G. Bataille, L'Expérience intérieure,1943, p. 96.
124. eugénie. − Aix, avant votre venue était vraiment la ville de l'amour. La moitié du chemin que font les Aixois dans la vie était dédié à l'amour. Quel beau réseau, quel beau lacis, si leurs pas marquaient!... Suivre un Aixois ou une Aixoise, c'était aller dans la journée vers l'amour!
lucile. − Quel nom tu donnes à ce passe-temps!
eugénie. − C'est le nom. On appelle amour le désir, la poursuite, le don, la jalousie, la béatitude et le désespoir.
lucile. − Moi pas. J'appelle amour ce qui n'a pas d'autre nom.
J. Giraudoux, Pour Lucrèce,1944, I, 2, p. 22.
−
Expr. [Avec gén. un cont. ou une nuance relig.] L'amour est fort comme la mort. Personne n'échappe à la mort; p. ext. l'amour est une force comparable à la mort, d'où l'expression l'amour est plus fort que la mort (supra I) : 125. ... la nature avait voulu nous montrer, et de main de maître, les persévérances étranges, indomptables, qu'elle donne à la vie. « L'amour est fort comme la mort ». Qui dit cela? C'est la Bible [Cantique des Cantiques, VIII, 6]. Oui, et c'est aussi la Bible éternelle. Or, qui plus que l'amour consacre la vie, la rend émouvante, respectable et sainte?
J. Michelet, L'Insecte,1857, p. 25.
1. [L'amour et ses spécifications] a) [Les types d'amour] La passion, le sentiment de l'amour; l'amour physique, platonique; l'amour de cœur, de tête : 126. Il y a quatre amours différents : 1 l'amour-passion, celui de la religieuse portugaise, celui d'Héloïse pour Abélard, celui du capitaine de Vésel, du gendarme de Cento. 2 L'amour-goût, celui qui régnait à Paris vers 1760, et que l'on trouve dans les mémoires et romans de cette époque, dans Crébillon, Lauzun, Duclos, Marmontel, Chamfort, Mmed'Épinay, etc., etc. (...). 3 L'amour-physique. À la chasse, trouver une belle et fraîche paysanne qui fuit dans le bois. Tout le monde connaît l'amour fondé sur ce genre de plaisirs : quelque sec et malheureux que soit le caractère, on commence par-là à seize ans. 4 L'amour de vanité. L'immense majorité des hommes, surtout en France, désire et a une femme à la mode, comme on a un joli cheval, comme chose nécessaire au luxe d'un jeune homme.
Stendhal, De l'Amour,1822, pp. 5-6.
127. De sa loge à l'Opéra, ses yeux froids plongeaient tranquillement sur le corps de ballet. Pas une œillade ne partait pour ce capitaliste de ce redoutable essaim de vieilles jeunes filles et de jeunes vieilles femmes, l'élite des plaisirs parisiens. Amour naturel, amour postiche et d'amour-propre, amour de bienséance et de vanité; amour-goût, amour décent et conjugal, amour excentrique, le baron avait acheté tout, avait connu tout, excepté le véritable amour. Cet amour venait de fondre sur lui comme un aigle sur sa proie, ...
H. de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes,1847, p. 90.
128. Là-dessus, on en vient au plus grand malheur de ce temps-ci, qui est dans la femme et surtout dans le caractère de l'amour moderne. Ce n'est plus l'amour tranquille, calme, presque hygiénique de l'Antiquité. La femme n'est plus considérée comme une pondeuse et une jouissance d'agrément. Nous avons bâti sur elle comme un idéal de toutes nos aspirations. Nous en avons fait le nid et l'autel de toutes sortes de sensations douloureuses, aiguës, délirantes, épicées.
E. et J. de Goncourt, Journal,mai 1864, p. 47.
129. Laurence avait eu peur, en effet. Comme beaucoup d'honnêtes femmes, elle pensait que l'amour platonique est une distraction parfaitement licite, où les maris n'ont rien à voir. Elle s'était bercée de l'espoir que l'amour de ce jeune homme, si sérieux et si bien élevé, planerait constamment dans des régions angéliques et immatérielles; qu'entre eux la passion resterait pure, et que le désir des choses défendues, pareil à une hirondelle infatigable, volerait toujours au-dessus de leurs têtes sans jamais y poser son aile.
A. Theuriet, La Maison des deux barbeaux,1879, p. 98.
130. Je ne sais si ce que vous appelez l'amour du cœur, l'amour des âmes, si l'idéalisme sentimental, le platonisme enfin, peut exister sous ce ciel; j'en doute même. Mais l'autre amour, celui des sens, qui a du bon, et beaucoup de bon, est véritablement terrible en ce climat.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Marroca, 1882, pp. 785-786.
131. ... le premier effet de l'amour est de supprimer, entre ceux qu'il domine, les lois et les convenances de cette civilisation. Tous les autres appétits sont plus ou moins contenus par les barrières sociales. (...) L'amour seul est demeuré irréductible, comme la mort, aux conventions humaines. Il est sauvage et libre, malgré les codes et malgré les modes. La femme qui se déshabille pour se donner à un homme, dépouille avec ses vêtements toute sa personne sociale; elle redevient, pour celui qu'elle aime, ce qu'il redevient, lui aussi, pour elle, la créature naturelle et solitaire dont aucune protection ne garantit le bonheur, dont aucun édit ne saurait écarter le malheur. Le monde du cœur et le monde des sens, − ces deux domaines où l'amour habite, − restent inaccessibles au législateur. Il s'accomplit là des infamies qu'aucune sanction humaine ne peut atteindre; il s'y manifeste des héroïsmes qu'aucune gloire humaine ne couronne. Chacun des deux amants ne peut en appeler de ce qu'il subit qu'à la nature, ...
P. Bourget, Nouveaux Essais de psychologie contemporaine,1885, p. 29.
132. L'amour romantique date du Moyen Âge (...) L'amour romantique se distingue par l'intensité du sentiment. Il s'adresse à un absent ou à une absente, à une fiancée, à un amant, à un être intermittent qui ne partage pas votre vie et que des obstacles ou un peu d'éloignement rendront plus séduisant.
J. Chardonne, Attachements,1943, p. 23.
133. « Il n'y a que les chrétiens pour avoir imaginé l'amour platonique. C'est que le christianisme a divisé l'homme, opposant l'âme noble au corps vil. L'homme total aimera dans sa chair et son âme enfin réunies, inséparables, consubstantielles ».
R. Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 107.
134. Les fautes charnelles apprennent à certains ce qu'ils n'auraient jamais pu savoir autrement, et j'entends cela d'une façon largement humaine et non pas seulement érotique. L'expérience de l'amour physique dépasse infiniment le corps; elle englobe un monde qu'il est précieux d'avoir connu et où beaucoup de bien se mêle à beaucoup de mal. J'ai l'air de faire l'apologie du plaisir, ce qui n'est pas du tout mon propos, mais j'ai connu des gens très sensuels, hommes et femmes, qui avaient un sens de l'humain beaucoup plus développé que des âmes manifestement vertueuses et innocentes. Connaître, dans le sens charnel que lui prête la Bible, n'est pas du tout un vain mot.
J. Green, Journal,1946, pp. 42-43.
135. Aimer n'est rien, il faut être aimé! L'amour solitaire n'est pas digne de son nom, l'amour sans réponse s'épuise en vain vers sa forme! Mais qu'il soit réciproque, au contraire, et la loi de la nature le fera durable!
A. Camus, Le Chevalier d'Olmedo,adapté de F. Lope de Vega, 1957, 1rejournée, 1, p. 719.
b) [Les situations ou occasions d'amour] Un premier, un nouvel amour : 136. « Plus tard, détrompée de cet amant et de tous les hommes, l'expérience de la triste réalité a diminué chez elle le pouvoir de la cristallisation, la méfiance a coupé les ailes à l'imagination. À propos de quelque homme que ce soit, fût-il un prodige, elle ne pourra plus se former une image aussi entraînante; elle ne pourra donc plus aimer avec le même feu que dans la première jeunesse. Et comme en amour on ne jouit que de l'illusion qu'on se fait, jamais l'image qu'elle pourra se créer à vingt-huit ans n'aura le brillant et le sublime de celle sur laquelle était fondé le premier amour à seize, et le second amour semblera toujours d'une espèce dégénérée. »
Stendhal, De l'Amour,1822, p. 21.
137. Je ne suis pas de ceux qui rient d'un amour perdu. J'ai éprouvé qu'un amour ne se remplace pas par un autre amour. Le second fait tort au troisième, le troisième au quatrième; ils s'affaiblissent l'un l'autre comme un écho, comme le cercle fragile qui ride l'onde agitée par la pierre d'un enfant. Surtout il est une femme qu'on ne remplace jamais, c'est la seconde femme que l'on aime.
J. Janin, L'Âne mort et la femme guillotinée,1829, pp. 79-80.
138. − Il vit par hasard dans le monde, où il allait très-peu, une jeune fille fort belle, mais sans fortune.
− Par hasard aussi il en devint éperdument amoureux; c'était son premier amour véritable. Or, un premier amour de débauché, c'est, on le sait, la passion la plus frénétique, la plus violente qu'on puisse imaginer.
E. Sue, Atar Gull,1831, p. 11.
139. ... la respectueuse estime dont jouissait Charles, l'entière affection de cet homme, qui répondit par un amour unique à un unique amour, tout avait réconcilié cette pauvre femme avec la vie.
H. de Balzac, Modeste Mignon,1844, p. 26.
140. Je n'ai pas pensé que je cesserais un jour de t'être fidèle, puisqu'à tout jamais j'avais compris ta pensée et la pensée que tu existes, que tu ne cesses d'exister qu'avec moi. J'ai dit à des femmes que je n'aimais pas que leur existence dépendait de la tienne. Et la vie, pourtant, s'en prenait à notre amour. La vie sans cesse à la recherche d'un nouvel amour, pour effacer l'amour ancien, l'amour dangereux, la vie voulait changer d'amour.
P. Éluard, Donner à voir,1939, p. 47.
♦
Le grand amour, l'amour parfait; filer le parfait amour : 141. Tu m'as accusé de ne pas t'aimer, et ce reproche m'est bien amer, puisque ce qui me tourmente, et ce qui t'importune, c'est mon trop d'amour. Adèle, il est donc vrai que tu aurais été plus heureuse d'être aimée par quelque être tranquille et froid, qui n'eût connu ni la chaste susceptibilité, ni les délicates jalousies d'un grand amour?
V. Hugo, Lettres à la fiancée,1822, p. 222.
142. ... dans un grand amour on n'est jamais deux, mais trois et (...) ce troisième qui est l'être fait de notre plus précieuse substance sentimentale et né de l'union des deux peut finir par devenir plus important que chacun des deux pris isolément; et c'est ce que j'entends par ce que j'appelle la responsabilité dans l'amour : la responsabilité est vis-à-vis de l'être à la fois issu de nous et qui nous est supérieur, et les scènes, les désaccords. les moments où chacun des deux tire de son côté, ce fardeau d'une cécité réciproque que l'amour a tant de peine à éviter, sont toujours ressentis par moi comme essentiellement dirigés contre l'amour même.
Ch. Du Bos, Journal,mars 1923, p. 241.
143. J'ai lu le raisonnement suivant de MmeAurel, que je mets en syllogisme pour être plus court : « Il n'y a rien de plus beau qu'une belle lettre d'amour. − Les plus belles lettres d'amour sont écrites par des femmes. − Donc le jour où les femmes feront imprimer des lettres d'amour de 300 pages in-18 sous couverture jaune-paille, elles auront écrit les plus beaux livres du monde. » Attendons. Mais jusqu'à présent tout au moins ce n'a pas été du tout la même chose. Un grand et parfait amour, un chef-d'œuvre sentimental, demandent des âmes orientées d'une certaine façon, et qui s'y donnent entières. Aucun grand artiste ne paraît avoir réalisé un de ces amours absolus : ...
A. Thibaudet, Réflexions sur la littérature,1936, p. 65.
−
Au plur. Les amours de qqn. Les épisodes successifs d'un même amour; série des expériences d'amour avec ou entre des partenaires différents : 144. Elle entra d'un air d'amitié qui me ravit. Nous causâmes de ses amours avec Delarbre. Elle ne convint pas de l'avoir aimé; mais elle s'étendit sur les marques d'une véritable tendresse qu'il lui avait données.
N.-E. Restif de La Bretonne, Monsieur Nicolas,1796, p. 21.
145. Si l'on compare les amours d'Ulysse et de Pénélope à celles d'Adam et d'Eve, on trouve que la simplicité d'Homère est plus ingénue, celle de Milton plus magnifique.
F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 1, 1803, p. 322.
146. Tous ces amours de Werther, Paul, Roméo, Des Grieux, paraissent aux femmes très profonds et inimitables, mais cela vient de ce qu'ils furent malheureux.
A. de Vigny, Le Journal d'un poète,1832, p. 956.
147. Il attendait, un bouquet de violettes à la main, le moment où Georgina sortirait des coulisses. Vue de près, la trouva-t-il moins exciting? Les innombrables amours de notre Don Juan, s'il y fait sans peine allusion, il ne divulgue pas l'identité de ses partenaires.
J.-É. Blanche, Mes modèles,1928, p. 221.
♦
À tes (vos) amours. Souhait adressé à son vis-à-vis au moment de trinquer : 148. Le garçon apporta le mousseux d'un pas guilleret et enleva le bouchon avec de grands airs. Il serva, on trinquit.
− À ta chance, à tes amours, dit Petit-Pouce.
− À ta prochaine embauche, dit Paradis.
R. Queneau, Pierrot mon ami,1942, p. 127.
−
Loc. En amour. Dans une situation d'amour : 149. En amour, il suffit de se plaire par ses qualités aimables et par ses agréments; mais en mariage, pour être heureux, il faut s'aimer, ou, du moins, se convenir par ses défauts.
Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 64.
150. Vous rencontrez une jolie femme galopant dans le parc et le rival est fameux par ses beaux chevaux qui lui font faire dix milles en cinquante minutes. Dans cet état la fureur naît facilement; l'on ne se rappelle plus qu'en amour, posséder n'est rien, c'est jouir qui fait tout; ...
Stendhal, De l'Amour,1822, pp. 106-107.
151. De Ryons a eu et aura des maîtresses. Mais, en amour, posséder n'est rien, c'est à se donner que consiste le bonheur, et de Ryons ne le peut pas.
P. Bourget, Nouveaux Essais de psychologie contemporaine,1885, p. 49.
152. ... Racine veut que sa dénonciation atteigne un autre aspect de la passion humaine. Si le sang ne lie pas à Hippolyte la femme de Thésée, il suffit que l'infortunée se croie incestueuse pour l'être en effet; en amour, c'est souvent la loi qui crée le crime.
F. Mauriac, La Vie de Jean Racine,1928, p. 133.
153. ... l'élégance morale fait partie de la coquetterie de certains hommes en amour. Tout comme la femme cherche à être belle pour plaire, l'homme cherche à être admirable. La femme qu'il aime doit se prêter à ce jeu. Si elle se montrait sceptique, si elle soulignait chez son amant certaines faiblesses ou certaines contradictions, elle serait aussi maladroite, d'une clairvoyance aussi inutilement cruelle, que l'homme qui signalerait à sa maîtresse des rides ou un double menton.
J. Romains, Les Hommes de bonne volonté,Le 6 octobre, 1932, p. 152.
−
Proverbes Froides mains, chaudes amours; vivre d'amour et d'eau fraîche; malheureux au jeu, heureux en amour : 154. Vivre d'amour et d'eau fraîche. Se dit ironiquement − dans l'argot de Breda-Street − de l'amour pur, désintéressé, sincère, celui ... [des] nids de tourterelles.
A. Delvau, Dict. de la langue verte,1867, p. 501.
155. « Je n'ai pas de veine, ce soir. » disait-il à son partenaire. Mais il s'en foutait! Une odeur de femme, douceâtre, le grisait; des images obscènes lui brouillaient les yeux, une bouffée de sang lui montait au visage, et, ouvrant sa chemise, il découvrait son cou solide de porteur. « Malheureux au jeu, heureux en amour, » pensait-il.
E. Dabit, L'Hôtel du Nord,1929, p. 58.
2. [L'amour en tant qu'il se traduit par des gestes, des attitudes, des manifestations ou moments divers] Les signes de l'amour; lettre d'amour, languir d'amour : 156. ... l'humeur et le dépit sont autant les signes de l'amour que la tendresse. Quand on n'aime plus tout est calme et ce silence du cœur est celui de la tombe.
Ch.-J. de Chênedollé, Extraits du journal,1815, p. 78.
157. ... c'est dans les riens, dans les mots, dans les regards que l'amour se décèle. Les plus fortes preuves de l'amour sont une foule de choses imperceptibles pour tout autre que l'être aimé.
V. Hugo, Lettres à la fiancée,1822, p. 254.
158. ... Eugénie était assise sur le petit banc de bois où son cousin lui avait juré un éternel amour, et où elle venait déjeuner quand il faisait beau. La pauvre fille se complaisait en ce moment, par la plus fraîche, la plus joyeuse matinée, à repasser dans sa mémoire les grands, les petits événements de son amour, et les catastrophes dont il avait été suivi.
H. de Balzac, Eugénie Grandet,1834, p. 238.
159. Il ne quitta pas si vite ce cœur où il était enfermé tout entier, ni ce corps qui appelait tous ses sens, et, quand elle passait ses mains dans les siennes, parfois il tressaillait encore, se plaisant toujours aux vieilles joies des voluptés qui avaient perdu leur grandeur. La régularité du plaisir et la satisfaction du besoin physique remplacèrent la fièvre de l'amour, ses frénésies terribles et ses mélancolies bienheureuses; ...
G. Flaubert, La Première éducation sentimentale,1845, p. 212.
160. ... un gai rayon clair, passant à travers les rideaux, courait sur les boucles blondes de la jeune fille, sur les pétales de la rose épanouie et sur la tête de Gérard, incliné devant celle qu'il aimait. Dans un coin, l'austère chevalier contemplait cette scène d'amour, écoutait le bruit des caresses et sentait un singulier enrouement le prendre à la gorge...
A. Theuriet, Le Mariage de Gérard,1875, p. 218.
161. L'amour humain ne se distingue du rut stupide des animaux que par deux fonctions divines : la caresse et le baiser.
P. Louÿs, Aphrodite,1896, p. 106.
162. ... un amour auquel s'annexaient tous ces épisodes, des visites aux musées, des soirées au concert, toute une vie compliquée qui permet des correspondances, des conversations, un flirt préliminaire aux relations elles-mêmes, ...
M. Proust, À la recherche du temps perdu,La fugitive, 1922, p. 554.
163. Chimène ne peut pas ressentir pour Rodrigue la haine qu'elle doit au meurtrier de son père, et elle le dit. Ni Corneille ni Racine n'ont usé communément de la litote dans leurs scènes de déclaration d'amour : je ne vois guère qu'Hippolyte et Aricie, qui emploient ce genre d'agréables énigmes que je trouve charmantes, mais qui évidemment me touchent moins le cœur que le torrent verbal et l'explosion directe de Phèdre et le j'aime! cri d'une bouche ouverte comme une blessure. Ni dans Shakespeare ni dans Hugo l'amour ne procède par litote. Ni dans Claudel.
A. Thibaudet, Réflexions sur la littérature,1936, p. 133.
164. ... nous pouvions voir comme la défaite et ses conséquences avaient ébranlé les nerfs des femmes. On remarquait chez beaucoup une parfaite absence de pudeur. Ce ne serait rien que ces protestations d'amour où des mots de romance épanchaient leur musique banale, mais les sensuelles écrivaient d'effroyables lettres, que les censeurs allemands se passaient de main en main avec de longs commentaires.
F. Ambrière, Les Grandes Vacances,1946, p. 98.
−
En partic. La rencontre d'amour, l'acte sexuel. Faire l'amour, les plaisirs de l'amour, le jeu d'amour : 165. On a de l'amour pour les fleurs, pour les oiseaux, pour la danse, pour son amant, quelquefois même pour son mari; jadis, on languissait, on brûlait, on mourait d'amour; aujourd'hui on en parle, on en jase, on le fait, et le plus souvent on l'achète.
Dict. des gens du monde,t. 1, 1818.
166. Chez Flaubert, la Lagier (...) nous expose ses théories transcendentales sur la jouissance. Une femme, selon elle, ne peut jouir qu'avec les gens au-dessous d'elle, parce qu'avec un homme propre, il y a toujours un reste de pudeur, une préoccupation de sa pose, un souci de la jouissance du partner. Tout cela gêne, occupe, préoccupe et dérange, au lieu qu'avec un misérable, un homme de rien, on lui fait faire l'amour comme on lui fait fendre son bois.
E. et J. de Goncourt, Journal,nov. 1862, p. 1172,
167. Mais en femme agréable et qui fuit le ton des bas bleus. elle se gardait de parler de la question d'Orient aux premiers ministres aussi bien que de l'essence de l'amour aux romanciers et aux philosophes. « L'amour? avait-elle répondu une fois à une dame prétentieuse qui lui avait demandé : « Que pensez-vous de l'amour? » L'amour? Je le fais souvent, mais je n'en parle jamais. »
M. Proust, À la recherche du temps perdu,Le Côté de Guermantes 1, 1920, p. 195.
168. Là-bas, l'amour, non, ça n'est pas du tout le même que le vôtre. Là-bas, c'est un acte silencieux, à la fois sacré et naturel. Profondément naturel. Il ne s'y mêle aucune pensée, d'aucune sorte, jamais. Et la recherche des plaisirs, qui est toujours plus ou moins clandestine ici, eh bien, là-bas, elle est aussi légitime que la vie, et, comme la vie, comme l'amour, elle est naturelle et sacrée.
R. Martin du Gard, Les Thibault,La Belle saison, 1923, pp. 1002-1003.
169. Nous avions l'attitude et nous faisions les gestes de l'amour et je sentais monter en moi contre elle une incompréhensible et sauvage rancune. Pourtant nous nous séparâmes tendrement et sur un baiser.
A. Maurois, Climats,1928, p. 111.
170. Il ne peut plus faire l'amour? Mais il l'a fait. Avoir fait l'amour, c'est beaucoup mieux que de le faire encore; avec le recul on juge, on compare et réfléchit.
J.-P. Sartre, La Nausée,1938, p. 95.
171. Dès sept heures moins le quart, il fut au Dupont-Latin. À une table voisine, un garçon de l'âge de Frédéric attendait une jeune fille. Quand elle franchit la porte, leur sourire bouleversa Frédéric. Ceux-là n'avaient pas besoin d'apprendre le jeu d'amour; rien que dans la manière dont ils se disaient bonsoir, il discerna une caresse, un aveu, l'expression d'un désir; comme il enviait l'aisance de ce sourire!
R. Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 242.
172. J'éprouvais, en dehors du plaisir physique et très réel que me procurait l'amour, une sorte de plaisir intellectuel à y penser. Les mots « faire l'amour » ont une séduction à eux, très verbale, en les séparant de leur sens. Ce terme de « faire », matériel et positif, uni à cette abstraction poétique du mot « amour », m'enchantait.
F. Sagan, Bonjour tristesse,1954, p. 137.
173. Je riais de mes discours et de mes plaidoiries. Plus encore de mes plaidoiries, d'ailleurs, que de mes discours aux femmes. À celles-ci, du moins, je mentais peu. L'instinct parlait clairement, sans faux-fuyants, dans mon attitude. L'acte d'amour, par exemple, est un aveu. L'égoïsme y crie, ostensiblement, la vanité s'y étale, ou bien la vraie générosité s'y révèle.
A. Camus, La Chute,1956, p. 1507.
174. ... Bourget, Alphonse Daudet, Marcel Prévost, Maupassant, les Goncourt (...) complétèrent mon éducation sexuelle, mais sans beaucoup de cohérence. L'acte d'amour durait parfois toute une nuit, parfois quelques minutes, il paraissait tantôt insipide, tantôt extraordinairement voluptueux; il comportait des raffinements et des variations qui me demeuraient tout à fait hermétiques.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 111.
−
Locutions ♦
En signe d'amour. Comme preuve d'amour : 175. Le guerrier vainqueur du monstre recevoit une part de la victime plus grande que celle des autres; et, lorsque, gonflé de nourriture il ne se pouvoit plus repaître, sa femme, en signe d'amour, le forçoit encore d'avaler d'horribles lambeaux qu'elle lui enfonçoit dans la bouche.
F.-R. de Chateaubriand, Les Natchez,1826, p. 242.
♦
(Agir) par amour (pour qqn). Avec des sentiments inspirés par l'amour : 176. ... Ondouré accusa le guerrier blanc d'avoir voulu faire mourir sa fille, par dégoût pour Céluta, et par amour pour une autre femme.
F.-R. de Chateaubriand, Les Natchez,1826p. 330.
177. Il se disait : « le fait-elle par amour pour moi, ou seulement par passion hippogriffale? Est-ce une amoureuse ou une ambitieuse? D'ailleurs peu m'importe, je ne vais pas me casser la tête à prospecter ce qu'il y a dans une âme. Si c'est par amour, c'est admirable, et il y a de quoi me décider au mariage. »
H. de Montherlant, Le Démon du bien,1937, p. 1277.
178. J'ai l'impression que les femmes ne couchent avec toi ni par vanité ni, pardonne-moi, par amour, mais plutôt, comment dirai-je, par vice, sans y attacher tellement d'importance...
R. Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 89.
♦
Pour l'amour de + nom de pers. : 179. − Où vas-tu si tard dans ce quartier? demanda Musette.
− Je vais dans ce monument, fit l'artiste en indiquant un petit théâtre où il avait ses entrées.
− Pour l'amour de l'art? − Non, pour l'amour de Laure.
H. Murger, Scènes de la vie de bohème,1851, p. 177.
180. − Je n'ai ni faim ni soif, murmura-t-il.
− Eh bien, buvez, pour l'amour de moi. Elle attacha sur lui ce regard plein de séduction auquel il ne pouvait jamais résister.
− Je le veux! dit-elle avec une mutinerie charmante. Léon prit son verre et le vida d'un seul trait.
P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole,t. 3, Le Club des valets de cœur, 1859, p. 157.
181. Les femmes eurent sur lui une extrême influence. Pour l'amour de celle qu'il épousa, il fit la guerre contre son suzerain. Pour l'amour d'une autre qu'il enleva, il s'enfuit sous un déguisement, quand c'était l'heure de se battre
.
M. Barrès, Le Voyage de Sparte,1906, p. 227.
Rem. Autres syntagmes a) Subst. + adj. : ancien, ardent, brûlant, charnel, dernier, désintéressé, éternel, exclusif, faux, fort, fou, humain, immense, impossible, infini, jaloux, jeune, malheureux, partagé, passionné, perdu, profond, secret, seul, sincère, tendre, unique, véritable, vrai; subst. + adj. + de : digne, ivre, plein; b) Subst. + d'amour, de l'amour : acte, baiser, besoin, chagrin, chant, déclaration, délices, désert, désespoir, désir, douleur, élan, espérance, espoir, excès, feux, folie, force, grâce, histoire, idée, innocence, intelligence, jeunesse, joie, mots, mystère, nuit, paroles, peine, pensée, pouvoir, preuve, regard, regret, rêve, scène, sens, transport; c) Verbe + (son), (l') amour : avouer, comprendre, connaître, dire, donner, exprimer, oublier, prouver, raconter, rendre, savoir; verbe + à (son), (l') amour : croire, porter, renoncer; verbe + de (son), (l') amour : avoir, brûler, douter, éprouver, inspirer, mourir, parler, pleurer, porter, se prendre, rêver, sentir; amour + verbe : confondre, exister, finir, naître, sembler.
B.− [L'amour considéré du point de vue des personnes] 1. [Spécifications affectives] :
182. La dissemblance entre la naissance de l'amour chez les deux sexes doit provenir de la nature de l'espérance qui n'est pas la même. L'un attaque et l'autre défend; l'un demande et l'autre refuse; l'un est hardi, l'autre très timide. L'homme se dit : Pourrai-je lui plaire? Voudra-t-elle m'aimer? La femme : N'est-ce point par jeu qu'il me dit qu'il m'aime? Est-ce un caractère solide? Peut-il se répondre à soi-même de la durée de ses sentiments?
Stendhal, De l'Amour,1822, p. 22.
183. Il y a des moments d'éclipse et de brutalité dans l'amour chez l'homme, où il irait jusqu'à en vouloir à la femme qu'il aime, de cette sensibilité dévorante qui la ferait sécher et pâlir, et dépérir en beauté loin de lui, à cause de lui! Les femmes ne sont jamais ainsi, elles; et c'est ce qui maintient leur grandeur dans l'amour, leur vertu souvent dans l'abîme, leur titre à l'immortel pardon.
Ch.-A. Sainte-Beuve, Volupté,t. 2, 1834, p. 56.
184. Tu veux savoir si je t'aime? Eh bien, autant que je peux aimer, oui; c'est-à-dire que, pour moi, l'amour n'est pas la première chose de la vie, mais la seconde. C'est un lit où l'on met son cœur pour le détendre. Or, on ne reste pas couché toute la journée. Toi, tu en fais un tambour pour régler le pas de l'existence! Non, non, mille fois non!
G. Flaubert, Correspondance,1847, p. 1.
185. L'amour est dans celui qui aime, non dans celui qu'on aime. Tout est pur chez les purs. Tout est pur chez les forts et chez ceux qui sont sains. L'amour, qui pare certains oiseaux de leurs plus belles couleurs, fait sortir des âmes honnêtes ce qu'elles ont de plus noble. Le désir de ne montrer à l'autre rien qui ne soit digne de lui, fait qu'on ne prend plus plaisir qu'aux pensées et aux actes qui sont en harmonie avec la belle image que l'amour a sculptée.
R. Rolland, Jean-Christophe,L'Adolescent, 1905, p. 339.
186. Lui avait aimé une Japonaise parce qu'il aimait la tendresse, parce que l'amour à ses yeux n'était pas un conflit mais la contemplation confiante d'un visage aimé, l'incarnation de la plus sereine musique, − une poignante douceur.
A. Malraux, La Condition humaine,1933, p. 429.
187. « Mon amour pour elle, vraiment, ne faisait qu'un avec le sentiment que j'ai de l'absolu. Quel dommage qu'elle n'en sache rien! Si elle avait, ne fût-ce qu'un instant, compris mon amour, elle n'aurait jamais pu s'en distraire, même pour danser. » L'amour! Quand la fête des yeux est la fête du cœur et qu'il n'y a plus de place au monde pour la peur qui nous vient avec la pensée, l'horrible peur de n'être qu'une chose. L'amour, quand elle est là et que je crois qu'elle va me comprendre. L'amour, pour me faire oublier combien mon être me pèse, au point que je sais enfin pourquoi je suis désespéré et comme honteux de ne pas être que moi.
J. Bousquet, Traduit du silence,1935-1936, p. 68.
188. J'aimerais, le jour où un homme me subjuguerait par son intelligence, sa culture, son autorité. Sur ce point, Zaza n'était pas de mon avis; pour elle aussi l'amour impliquait l'estime et l'entente; mais si un homme a de la sensibilité et de l'imagination, si c'est un artiste, un poète, peu m'importe, disait-elle, qu'il soit peu instruit et même médiocrement intelligent.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 145.
2. [L'amour hors mariage] :
a) [L'amour libre] :
189. Je considère l'accouplement légal comme une bêtise. Je suis certain que huit maris sur dix sont cocus. Et ils ne méritent pas moins pour avoir eu l'imbécillité d'enchaîner leur vie, de renoncer à l'amour libre, la seule chose gaie et bonne au monde, de couper l'aile à la fantaisie qui nous pousse sans cesse à toutes les femmes, etc., etc. Plus que jamais, je me sens incapable d'aimer une femme, parce que j'aimerai toujours trop toutes les autres.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Lui?, 1883, p. 852.
190. − Le mariage est odieux et détestable, lui dit-il. Je me sens écœuré quand je pense à cette chaîne affreuse, la plus lourde que les hommes aient forgée pour attacher les âmes un peu fières. Le scepticisme et l'amour libre sont aussi nécessairement associés que la religion et le mariage. Les gens d'honneur n'ont pas besoin des lois... pour l'amour de Dieu, Élisabeth, lisez le service du mariage, et voyez si un honnête homme peut soumettre un être aimable et aimé à une telle dégradation.
A. Maurois, Ariel ou la Vie de Shelley,1923, p. 63.
191. Je lui ressasse mes sempiternelles raisons : − En ne vous épousant pas, je sauvegarde notre amour. Le mariage est la fin de l'amour, cela est connu depuis Jeroboam. Je me lasserais de vous. Vous me gêneriez. Je vous apparaîtrais avec mes petits côtés. Finish l'extase. Dans la liaison rien de tout cela, ou si peu.
H. de Montherlant, Le Démon du bien,1937, p. 1256.
192. Il me répéta que notre société ne respecte que les femmes mariées. Je ne me souciais pas d'être respectée. Vivre avec Jacques et l'épouser, c'était tout un. Mais dans les cas où on pouvait dissocier l'amour du mariage, cela me semblait à présent bien préférable. J'aperçus un jour au Luxembourg Nizan et sa femme qui poussait une voiture d'enfant, et je souhaitai vivement que cette image ne figurât pas dans mon avenir. Je trouvais gênant que des époux fussent rivés l'un à l'autre par des contraintes matérielles : le seul lien entre des gens qui s'aiment aurait dû être l'amour.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 325.
b) [L'adultère] :
193. Sans même s'arrêter à des relations d'une nature aussi particulière, ne voyons-nous pas tous les jours que l'adultère, quand il est fondé sur l'amour véritable, n'ébranle pas les sentiments de famille, les devoirs de parenté, mais les revivifie? L'adultère alors introduit l'esprit dans la lettre que bien souvent le mariage eût laissée morte.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,La Prisonnière, 1922, p. 262.
194. Vois : nous nous aimons depuis des semaines, et personne ne sait, personne... MlleGermaine par-ci... M. le Député par-là... Hein? Sommes-nous bien cachés? Bien clos? M. Gallet fait l'amour avec une fille de seize ans. Qui s'en doute? Et ta femme elle-même? Avoue-le, vieux scélérat, tu la trompes ici, à sa moustache (elle en a!), c'est la moitié de ton bonheur. Je te connais. Tu n'aimes pas l'eau claire.
G. Bernanos, Sous le soleil de Satan,1926, p. 109.
195. Ah! Comme j'aurais bien fait l'épouse d'un artiste! Car pour être une femme d'artiste il faut aimer l'artiste encore plus que l'homme, faire que le premier soit grand, et que le second soit heureux. Et puis, être entre soi, se comprendre à demi-mot, quel repos! J'ai horreur des vieilles filles. J'ai pitié des mal mariées. L'amour irrégulier me dégoûte.
H. de Montherlant, Les Jeunes filles,1936, p. 937.
c) Enfant de l'amour. Un enfant naturel, bâtard : 196. Dans la maison où elle est, on avait décidé, sur cette analogie des traits, qu'elle était ma fille et l'on avait là-dessus bâti un roman. C'était ma fille naturelle, une enfant mystérieuse de l'amour que j'avais fait venir à Paris et que je venais voir à l'insu de ma famille, ...
J. Michelet, Journal,1849, p. 648.
197. ... une femme tenant comme lui une enfant par la main, une petite fille blonde comme moi l'approcha... Je ne sais pas ce qu'elle dit à mon père, je ne compris pas très bien, mais elle pleurait, et mon père la repoussa. − C'était ma mère! dit Rébecca, dont la voix s'altéra, et cette enfant, c'était moi... et depuis ce jour-là, voyez-vous, madame, l'enfant de l'amour, l'enfant de l'abandon, la malheureuse élevée dans l'ombre, reniée par tous, même par Dieu, se souvient toujours de vous avoir vue passer, vous, l'enfant du soleil et de la lumière.
P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole,t. 5, Les Exploits de Rocambole, 1859, p. 386.
198. − Ah! celle-là, la mère est d'Anvers. Une toute jeunette. Elle vient le samedi. Elle ne me l'a pas dit, mais... Elle baissa le ton. − ... Mais je pense bien qu'elle n'est pas mariée, madame. Je n'ai jamais vu le père... Un enfant de l'amour... Een bastaardkind... C'est triste, hein?
M. Van der Meersch, L'Empreinte de Dieu,1936, p. 237.
Rem. Plus gén. enfant de l'amour peut désigner un enfant conçu ou voulu par des pers. qui s'aiment profondément :
199. Les ouvrages qu'un auteur fait avec plaisir sont souvent les meilleurs, comme les enfants de l'amour sont les plus beaux.
Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 72.
200. Ma sœur, Odette, est née quand mes parents habitaient encore Rouen, dans les premières romanesques années de leur mariage, c'est une enfant de l'amour; tandis que, moi, je suis venue au monde quand grand'mère avait déjà consenti à recevoir mon père, qu'on avait déjà l'hôtel particulier, rue de l'Université, dont maman avait hérité d'une tante.
E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 272.
3. [L'amour homosexuel] :
201. Toute religion est un code pénal et criminel réservé pour les méfaits que les lois du monde visible et humain ne peuvent atteindre, par exemple le suicide, l'inceste secret, l'amour saphique, etc. L'amour grec.
A. de Vigny, Le Journal d'un poète,1852, p. 1295.
202. Il me parlait des garanties de défense des détenues, en m'ouvrant le prétoire où elles sont jugées au tribunal du samedi. Il me vantait la moralisation par le silence, en me disant comme elles se corrompraient, si elles se parlaient, et toutes leurs ruses pour se correspondre, − jusqu'à une qui avait, avec ses ciseaux de travail découpé dans un livre de prières le Pater et l'Ave par lettres et les avait cousues pour en faire à une compagne une lettre d'obscénité. Et là, autre abîme! Je sondais de la pensée les amours contre-nature qui devaient germer, éclater là; les jalousies, les passions qui la nuit, les font relever et assommer une voi(...)e de lit à coups de pots, leur seule arme! Amours lesbiennes, compagnonnages de couvent compliqués de prison, ...
E. et J. de Goncourt, Journal,oct. 1862, pp. 1149-1150.
203. La communauté de leur existence avait établi entre ces hommes des amitiés profondes. Le camp, pour la plupart, remplaçait la patrie; vivant sans famille, ils reportaient sur un compagnon leur besoin de tendresse, et l'on s'endormait, côte à côte, sous le même manteau, à la clarté des étoiles. Dans ce vagabondage perpétuel à travers toutes sortes de pays, de meurtres et d'aventures, il s'était formé d'étranges amours, − unions obscènes aussi sérieuses que des mariages, où le plus fort défendait le plus jeune au milieu des batailles, l'aidait à franchir les précipices, épongeait sur son front la sueur des fièvres, volait pour lui de la nourriture; et l'autre, enfant ramassé au bord d'une route, devenu mercenaire, payait ce dévouement par mille soins délicats et des complaisances d'épouse.
G. Flaubert, Salammbô,1863, t. 2, p. 135.
204. Au collège, où il se sentait Grec et Romain, il faisait profession de dédaigner la femme, et avait de doctes entretiens, renouvelés des Grecs, sur la question de savoir si oui ou non elle possède une âme. Mais ici il entrait, sans en avoir conscience, dans la vieille tradition qui marie tauromachie et galanterie, et qui explique en partie, selon nous, pourquoi l'Espagne est un des pays d'Europe les moins touchés par l'amour entre mâles, malgré l'atavisme nord-africain qui devrait l'y porter.
H. de Montherlant, Les Bestiaires,1926, p. 442.
205. ... l'irrépressible dégoût que peut éprouver un homosexuel pour un autre dont les appétits ne sont pas les mêmes est chose dont l'hétérosexuel ne peut se rendre compte : il les fourre tous dans le même sac pour les jeter par-dessus bord en bloc, ce qui est évidemment beaucoup plus expédient. J'ai tenté pour ma part de faire le départ entre pédérastes selon l'acceptation grecque du mot : amour des garçons, et les invertis, mais on n'a consenti à y voir qu'une discrimination assez vaine, et force m'a été de me replier.
A. Gide, Ainsi soit-il,1951, p. 1242.
206. Felicitas et Élisabeth! Elles ont d'abord de l'aversion l'une pour l'autre − crac! Cela tourne, et voilà qu'elles éprouvent une tendresse, un désir, un amour insurpassables, elles ne peuvent s'éloigner l'une de l'autre, se détacher pendant une minute, et au bout de huit jours elles dorment ensemble.
P.-J. Jouve, Aventures de Catherine Crachat,Hécate, Paris, Mercure de France, 1963, p. 81.
4. [L'inceste] :
207. ... une soûlerie de l'or dont l'ivresse croissante l'emportait, lui faisait, le corps de sa femme Angèle à peine froid, vendre son nom pour avoir les premiers cent mille francs indispensables, en épousant Renée, puis l'amenait plus tard, au moment d'une crise pécuniaire, à tolérer l'inceste, à fermer les yeux sur les amours de son fils Maxime et de sa seconde femme, dans l'éclat flamboyant de Paris en fête.
É. Zola, Le Docteur Pascal,1893, p. 109.
208. ... ils étaient beaux, non coupables, presque rituels. Certes le Jean-Baptiste couchait avec ses filles, au moins la fille aînée, et un tel amour avait comme toutes les choses sacrilèges un aspect particulièrement brillant, fulgurant, à travers la beauté du soir, dans le lieu religieux et pauvre et sans routes, où les grandes palmes abritaient la nécessité et la commodité profondes.
P.-J. Jouve, La Scène capitale,1935, p. 178.
5. [L'amour considéré comme attachement d'un être à soi-même] a) [L'amour est princ. moral] L'amour légitime ou exagéré de soi (cf. amour-propre) : 209. Par ces sensations, l'homme, tantôt détourné de ce qui blesse ses sens, et tantôt entraîné vers ce qui les flatte, a été nécessité d'aimer et de conserver sa vie. Ainsi, l'amour de soi, le désir du bien-être, l'aversion de la douleur, ont été les lois essentielles et primordiales imposées à l'homme par la nature même; ...
C.-F.-Ch. de Volney, Les Ruines,1791, p. 40.
210. Me voilà donc avec deux amours et deux tendances, dont vous ne me démontrez nullement l'harmonie possible : savoir, d'une part l'amour de moi-même ou du moi, ou l'égoïsme; et d'autre part, l'amour du prochain ou du non-moi, ou la charité. Et ces deux amours sont aussi saints l'un que l'autre. Car si vous me dites que l'amour du prochain est saint aux yeux de Dieu, il est évident aussi que l'amour de moi-même est nécessaire, et par conséquent légitime et saint aux yeux du créateur de toutes choses.
P. Leroux, De l'Humanité,t. 1, 1840, p. 198.
211. Quand l'homme cessera d'aimer son corps de singe (dans la première espèce) et d'espérer l'éternité de sa mesquine personne, il sera libre des superstitions paradisiaques et des peurs infernales. Ce qu'il faut détruire, c'est l'amour de soi, de sa personnalité, de son cher individu.
A. de Vigny, Le Journal d'un poète,1862, p. 1374.
212. Cette sensibilité morale a quatre genres, et son deuxième genre, « désirs moraux », se divise en cinq espèces, et les phénomènes de quatrième genre, « affection », se subdivisent en deux autres espèces, parmi lesquelles l'amour de soi, « penchant légitime, sans doute, mais qui, devenu exagéré, prend le nom d'égoïsme ».
G. Flaubert, Bouvard et Pécuchet,t. 2, 1880, p. 94.
213. L'égoïsme, en effet, pour l'homme vivant en société, comprend l'amour-propre, le besoin d'être loué, etc.; de sorte que le pur intérêt personnel est devenu à peu près indéfinissable, tant il y entre d'intérêt général, tant il est difficile de les isoler l'un de l'autre. Qu'on songe à tout ce qu'il y a de déférence pour autrui dans ce qu'on appelle amour de soi, et même dans la jalousie et l'envie! Celui qui voudrait pratiquer l'égoïsme absolu devrait s'enfermer en lui-même, et ne plus se soucier assez du prochain pour le jalouser ou l'envier.
H. Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion,1932, p. 91.
214. Le problème est (...) l'un de ceux où l'on semble avoir pris plaisir à amonceler les difficultés, en opposant l'une à l'autre deux conceptions de l'amour essentiellement irréductibles (...). D'une part, un amour conçu à la manière gréco-thomiste, fondé sur l'inclination naturelle et nécessaire des êtres à rechercher avant tout leur propre bien. Pour qui se réclame de cette conception physique, il y a une identité foncière entre l'amour de soi et l'amour de Dieu (...). La conception extatique, au contraire, postulerait l'oubli de soi comme condition nécessaire de tout amour véritable, de celui qui met littéralement le sujet « hors de lui-même » et libère en nous l'amour d'autrui de toutes les attaches qui semblent l'unir à nos inclinations égoïstes.
É. Gilson, L'Esprit de la philosophie médiévale,t. 2, 1932, p. 80.
b) [Le lien est passionnel] L'amour narcissique de soi : 215. le narcisse. ... Mais je n'ai pour soif qu'une amour sans mélange Qui, ses yeux dans ses yeux, s'enivre de l'échange Entre soi-même et soi, des plus secrets souhaits ...
P. Valéry, Cantate du Narcisse,1939, 3, p. 246.
216. La même révolution méthodique (...) nous oblige maintenant à prendre comme point de départ l'affectivité, en tant que visée objective de l'être, quitte à engendrer après coup de cette définition générale les moments où le sentiment se retourne sur le sujet, où l'instinct se fait conservation et l'amour narcissisme, ...
J. Vuillemin, Essai sur la signification de la mort,1949, p. 92.
217. Il est déjà contradictoire avec l'intention aimante d'aimer l'amour à la place de l'aimé, comme il peut être contre-nature (quoique non pas contradictoire) d'aimer son propre égo.
V. Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, p. 241.