A.− [Correspond à II A 2 a de s'abandonner] Qui a renoncé à agir, à lutter : 25. Une malheureuse assez abandonnée pour se tuer elle-même!
P. Mérimée, Arsène Guillot,1847, p. 92.
26. ... sitôt qu'il a foulé la liste couleur d'ambre, il oublie que son propre calcul en a tracé d'avance l'itinéraire inflexible. Au premier pas sur le sol magique arraché par son art à l'accablante, à la hideuse fertilité de la terre, nu et stérile, bombé comme une armure, le plus abandonné reprend patience et courage, rêve qu'il est peut-être une autre issue que la mort à son âme misérable ... Qui n'a pas vu la route à l'aube, entre ses deux rangées d'arbres, toute fraîche, toute vivante, ne sait pas ce que c'est que l'espérance.
G. Bernanos, Monsieur Ouine,1943, p. 1409.
B.− [Correspond à II A 2 b de s'abandonner] Qui a renoncé à la direction ou à la possession de soi-même : 27. On lui [M. de Talleyrand] a attribué un goût d'épigrammes et de saillies qu'il n'avait pas; son entretien n'avait ni la méchanceté ni l'essor que le vulgaire se plaisait à citer et à admirer dans les reparties d'emprunt mises sous son nom. Il était, au contraire, lent, abandonné, naturel, un peu paresseux d'expression, mais toujours infaillible de justesse. Il avait trop d'esprit pour avoir besoin de le tendre. Ses paroles n'étaient pas des éclairs, mais des réflexions condensées en peu de mots.
A. de Lamartine, Nouvelles Confidences,1851, p. 305.
28. Je ne sais pas si Delacroix a des imperfections de caractère. J'ai vécu près de lui dans l'intimité de la campagne et dans la fréquence des relations suivies, sans jamais apercevoir en lui une seule tache, si petite qu'elle fût. Et pourtant nul n'est plus liant, plus naïf et plus abandonné dans l'amitié. Son commerce a tant de charmes qu'auprès de lui on se trouve soi-même être sans défauts, tant il est facile d'être dévoué à qui le mérite si bien.
G. Sand, Histoire de ma vie,t. 4, 1855, p. 252.
29. ... Les matamores de la troupe étaient atterrés : ,,(...) S'il arrivait malheur à leur garant et fondé de pouvoir, adieu tout! Il leur incomberait alors d'en découdre avec messire la sourdine, et ce n'est pas lui qui serait décousu!`` Mais le protecteur, d'un seul coup d'œil, les rassura : ,,puisqu'on l'exigeait, il serait sage; on pouvait, comme toujours, s'en rapporter à sa parole.`` En effet, au lieu de se jeter en avant, à corps abandonné, comme il l'avait fait deux fois de suite sans autre résultat que de compromettre la partie, il se remit à tâter le fourbe d'en face, ...
L. Cladel, Ompdrailles,1879, p. 278.
30. ... la chaleur tombait dans l'air immobile. Par moments, une haleine fraîche montait des parquets, que des garçons de magasin arrosaient d'un mince filet d'eau. (...). Des vendeurs nonchalants se tenaient debout, quelques rares clientes suivaient les galeries, traversaient le hall, de ce pas abandonné des femmes que le soleil tourmente.
É. Zola, Au bonheur des dames,1883, p. 540.
31. Ses cheveux sont défaits, abandonnés; d'un noir de jais; coupés court sur le front mais retombant comme mouillés sur les épaules.
A. Gide, Journal,1910, p. 291.
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En mauvaise part. Sans retenue : 32. Quelquefois un plumet échauffé de luxure et de boisson faisait asseoir sur son genou une de ces beautés peu farouches, et lui chuchotait à l'oreille, dans un gros baiser, des propositions anacréontiques reçues avec des rires affectés et un « non » qui voulait dire « oui »; puis, au long de l'escalier, on voyait des groupes qui montaient, l'homme le bras sur la taille de la femme, la femme se retenant à la rampe et faisant de petites façons enfantines, car même en la débauche la plus abandonnée il faut encore quelques semblants de pudeur.
T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 315.
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Substantivement. [En parlant d'une femme qui se prostitue, peut-être pour indiquer le motif de sa prostitution] :
33. La femme Cuche, cette misérable abandonnée qui se prostituait à tous les hommes, dans les trous de la côte, pour trois sous ou pour un reste de lard, s'était cassé une jambe en juillet; et elle en demeurait contrefaite, boitant affreusement, sans que sa laideur repoussante, aggravée par cette infirmité, lui fît rien perdre de sa clientèle ordinaire.
É. Zola, La Joie de vivre,1884, p. 1004.