A.− ENTOMOL. et lang. commune : 1. Dans le calice d'une fleur
La guêpe un jour voyant l'abeille,
S'approche en l'appelant sa sœur.
J.-P.-C. de Florian, Fables,La Guêpe et l'abeille, 1792, p. 190.
2. C'est parmi les hyménoptères que se trouvent les insectes les plus industrieux, et notamment les abeilles.
G. Cuvier, Leçons d'anatomie comparée,1805, p. 87.
3. La raison est abeille, et l'on n'exige d'elle que son produit; son utilité lui tient lieu de beauté. Mais l'esprit n'est qu'un papillon, et un esprit sans agrément est comme un papillon sans couleurs : il ne cause aucun plaisir.
J. Joubert, Pensées,1824, p. 165.
4. Lorsque sous la colline, au creux de la prairie,
Je puis errer enfin, tout à ma rêverie,
Comme loin des frelons une abeille à son miel,
Et que je suis bien seul en face d'un beau ciel;
Alors...
Ch.-A. Sainte-Beuve, Poésies,Promenade, 1829, p. 78.
5. Chaque flot du temps superpose son alluvion, chaque race dépose sa couche sur le monument, chaque individu apporte sa pierre. Ainsi font les castors, ainsi font les abeilles, ainsi font les hommes. Le grand symbole de l'architecture, Babel, est une ruche.
V. Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 132.
6. Ces animaux apprivoisés avaient l'air de lui faire cortège et de comprendre son amitié pour eux. Je n'aurais pas été étonné de le voir suivre par les abeilles et par les insectes de l'enclos.
A. de Lamartine, Le Tailleur de pierre de Saint-Point,1851, p. 443.
7. Ni l'araignée, hydre étoilée,
Au centre du mal se tenant,
Ni l'abeille, lumière ailée,
Ni la fleur, parfum rayonnant;
Ni l'arbre où sur l'écorce dure
L'amant grave un chiffre d'un jour,
Que les ans font croître à mesure
Qu'ils font décroître son amour.
V. Hugo, Les Contemplations,Magnitudo parvi, 1856, p. 317.
8. La solidarité profonde, merveilleuse, qui existe dans les insectes supérieurs (abeilles, fourmis, etc.), ne se trouve point chez les oiseaux. Les bandes y sont communes, mais les vraies républiques, rares.
J. Michelet, L'Oiseau,1856, p. 291.
9. Puis comme elle avait fait la veille,
Au joug du labeur se mettant,
Cigale en même temps qu'abeille,
Elle travaillait en chantant.
H. Murger, Les Nuits d'hiver,Marguerite, 1861, p. 84.
10. Le fait est que les anglaises sont d'adorables filles. Cette blondeur douce (...); cette taille si harmonieusement grecque : non pas une taille d'abeille prétentieuse, mais une taille d'ange qui reploierait ses ailes sous son corsage!
S. Mallarmé, Correspondance,1862, p. 27.
11. Dans l'exemple qui nous occupe, la nature veut donc, en vue de la fécondation croisée, que l'accouplement du faux bourdon et de la reine abeille ne soit possible qu'en plein ciel.
M. Maeterlinck, La Vie des abeilles,1901, p. 225.
12. Les bourdons, ces grosses abeilles velues, sonores, effrayantes mais pacifiques et que nous connaissons tous, sont d'abord solitaires.
M. Maeterlinck, La Vie des abeilles,1901p. 287.
13. Mais que ne devrait pas savoir le petit scarabée dont on a si souvent raconté l'histoire, le sitaris? Ce coléoptère dépose ses œufs à l'entrée des galeries souterraines que creuse une espèce d'abeille, l'antophore.
H. Bergson, L'Évolution créatrice,1907, p. 147.
14. Ainsi, l'étude comparative qu'on a faite, dans ces dernières années, de l'instinct social chez les diverses apides établit que l'instinct des méliponines est intermédiaire, quant à la complexité, entre la tendance encore rudimentaire des bombines et la science consommée de nos abeilles : pourtant entre les abeilles et les méliponines il ne peut pas y avoir un rapport de filiation.
H. Bergson, L'Évolution créatrice,1907p. 172.
15. La meilleure abeille ed' not' jardin, ça n'est plus rien qu'un' mouche sitôt qu'elle a perdu sa ruche ...
R. Martin du Gard, La Gonfle,1928, III, 1, p. 1217.
16. Des avions ronflent dans le ciel, comme des abeilles.
P. Morand, Londres,1933, p. 137.
17. Si « l'architecte le plus malhabile se distingue de l'abeille la plus experte en ce qu'il porte d'abord la maison dans sa tête », tandis que l'abeille ne construit sa ruche que dans une suite de moments extérieurs les uns aux autres, c'est que la présence de la triple extériorité du temps dans le projet humain du travail en fait une extase ...
J. Vuillemin, L'Être et le travail,1949, p. 22.
Rem. 1. Le mot abeille fonctionne gén. en oppos. avec des noms d'anim. (cf. ex. 5), des noms d'insectes (cf. ex. 1, 3, 4, 9, 11, 12, 15) ou encore avec des termes gén. (ex. 2, 6, 8) et des noms sc. (ex. 13, 14), abeille étant un terme intermédiaire entre hyménoptère (plus gén.) et anthophore (plus part.). 2. Abeille est en oppos. avec les noms d'êtres ou de choses avec lesquels elle présente des points communs : petitesse, bruit, mode de vie, supériorité, etc.; d'où des compar. fréquentes chez de nombreux aut. entre l'abeille, l'homme et l'univers. 3. Aucune attest., dans la docum., des synon. traditionnels relevés par les dict. des synon. et appartenant à des niveaux de lang. différents : mouche à miel (cour. et pop.), avette (vieilli et dial.), apis (sc.). 4. Dans l'ex. 3 abeille, sans art., prend une valeur de qualificatif.
− Assoc. syntagm.
Syntagmes les plus fréquents
a) Verbes dont abeilles(s) est le suj. :
bourdonner (É. Zola, Une page d'amour, 1878, p. 1077)
butiner (A. Gide, Les Nourritures terrestres, 1897, p. 189)
travailler (H. Barbusse, Le Feu, 1916, p. 96) cf. aussi ex. 9
voler (M. Desbordes-Valmore,
Œuvres poétiques, 1833, p. 6)
chanter (R. Rolland, Jean-Christophe, La Nouvelle journée, 1912, p. 1565)
ronfler (H. Pourrat, Gaspard des montagnes, Le Château des sept portes, 1922, p. 148); cf. aussi ex. 30
b) Adj. constr. avec abeille :
domestique (M. Maeterlinck, La Vie des abeilles, 1901, p. 139)
petite (J. Green, Journal, Les Pays lointains, 1928-1930, p. 294)
sauvage (J.-R. Bloch, Destin du siècle, Seconds essais pour mieux comprendre mon temps, 1931, p. 35)
prompte (Ch.-M. Leconte de Lisle, Poèmes antiques, 1874, p. 169)
travailleuse (P. Reider, Mademoiselle Vallantin, 1862, p. 45)
laborieuse (F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 4, 1848, p. 586)
infatigable (L.-C. de Saint-Martin, L'Homme de désir, 1790, p. 315)
experte (J. Vuillemin, L'Être et le travail, 1949, p. 22)
matinale (A. de Lamartine, La Chute d'un ange, 1838, p. 990)
joyeuse (V. Hugo, Les Feuilles d'automne, 1831, p. 792)
blonde (Ch.-A. Sainte-Beuve, Volupté, t. 2, 1834, p. 162)
c) Subst. associés à abeille :
ruche (P. Vidal de la Blache, Principes de géographie humaine, 1921, p. 205)
miel (A. de Saint-Exupéry, Citadelle, 1944, p. 38); cf. aussi ex. 4
nectar (A. Chénier, Bucoliqūes, 1794, p. 257)
bourdonnement (H. Bosco, Le Mas Théotime, 1945, p. 89)
murmure (A. Béguin, L'Âme romantique et le rêve, 1939, p. 174)
bruit (Ch. Guérin, Le Cœur solitaire, 1904, p. 70)
activité (J. Michelet, L'Insecte, 1857, p. 300)
essaim (R. Maran, Batouala, 1921, p. 176); cf. aussi ex. 31
cellule (E. Mounier, Traité du caractère, 1946, p. 428)
rayon (A. de Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses, 1830, p. 385)
colonie (M. Maeterlinck, La Vie des abeilles, 1901, p. 117)
élevage (M. Maeterlinck, La Vie des abeilles, 1901, p. 1)
éleveur (M. Maeterlinck, La Vie des abeilles, 1901, p. 30)
2. Il a paru intéressant de relever qq. syntagmes rares rencontrés dans la docum.
a) Sexe :
la mère-abeille (J. Michelet, L'Insecte, 1857, p. 320)
l'abeille-mère (J. de Pesquidoux, Chez nous, t. 2, 1923, p. 38)
la reine abeille (M. Maeterlinck, La Vie des abeilles, 1901, p. 156)
une abeille-reine (H. Pourrat, Gaspard des montagnes, A la belle bergère, 1925, p. 250)
roi des abeilles (J. Barbey d'Aurevilly, Premier mémorandum, 1838, p. 161)
jeune roi d'abeilles (P. Claudel, La Ville, 1reversion, 1893, p. 408)
b) Qualités phys. de l'abeille :
mielleuse abeille (A. Chénier, Bucoliques, 1794, p. 303)
cuivrer une abeille (J. Barbey d'Aurevilly, Premier mémorandum, 1838, p. 208)
couper une abeille en deux (Ch.-A. Sainte-Beuve, Mes Poisons, 1869, p. 101)
abeille camuse (Ch.-M. Leconte de Lisle, Poèmes antiques, 1874, p. 231)
abeilles de phosphore (Saint-John Perse, Exil, 1942, p. 292)
la taille d'une abeille (Colette, La Maison de Claudine, 1922, p. 68)
abeilles jaunes,... (A. France, Sur la pierre blanche, 1905, p. 208)
c) Qualités mor. de l'abeille. − Le mot abeille est accompagné dans la plupart des textes d'épithètes à valeur laud. (gén. abeille laborieuse, active, rapide, prévoyante, etc.). Il a semblé intéressant de noter les ex. dans lesquels les qualificatifs attribués à l'insecte sont dépréc. :
perfide abeille (H. de Balzac, Correspondance, 1832, p. 144)
abeille prétentieuse (S. Mallarmé, Correspondance, 1871, p. 27)
abeilles ténébreuses (V. Hugo, Les Misérables, 1862, p. 410)
abeille importune, imprudente (R. de Gourmont, Esthétique de la langue française, 1899, p. 291)
insensible abeille (Colette, L'Envers du Music-hall, 1913, p. 77)
d) Activité ou organ. :
l'abeille picore (Ch.-A. Sainte-Beuve, Poésies, 1829, p. 104)
maîtresses-abeilles (J. Michelet, L'Insecte, 1857, p. 332)
abeilles qui taraudent leur nid (M. Maeterlinck, La Vie des abeilles, 1901, p. 284)
les abeilles nidifient (J. de Gaultier, Le Bovarysme, 1902, p. 143)
des abeilles qui mellifient (M. Barrès, Colette Baudoche, 1909, p. 146)
vrombissement d'abeilles (M. Genevoix, Raboliot, 1925, p. 313)
zonzonnement des abeilles (F. Foch, Mémoires, t. 1, 1929, p. 52)
unités abeilles (P.-J. Proudhon, Qu'est-ce que la propriété?, 1840, p. 319)
la monarchie des abeilles (L. Menard, Rêveries d'un paien mystique, 1876, p. 142)
une république d'abeilles (A. France, Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1881, p. 414)
e) L'abeille et ses relations :
− En relation avec les plantes :
ophris-abeille (G. Duhamel, Chroniques des Pasquier, Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 159)
arbres à abeilles (J. de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l'état de New-York, 1801, p. 46)
− Espèces d'abeilles :
abeille arcture (G. Apollinaire, Alcools, 1913, p. 137)
abeilles coupeuses de feuilles (G. Cuvier, Leçons d'anatomie comparée, 1805, p. 316)
− En relation avec l'être humain :
femme abeille (V. Hugo, Notre-Dame de Paris, 1832, p. 296)
charmeur d'abeilles (L. Cladel, Ompdrailles, 1879, p. 218)
chasseur d'abeilles (Ch. Guérin, Le Cœur solitaire, 1904, p. 177)
au magasin des abeilles (A. Gide, Souvenirs de la Cour d'Assises, 1913, p. 649)
− Espace et temps :
à vol d'abeille (J. Verne, Le Tour du monde en 80 jours, 1873, p. 186)
en ligne d'abeille (A. France, Balthazar, 1889, p. 180)
une ligne d'abeille (J. Green, Journal, 1935, p. 141); ligne d'abeille est la trad. littérale et fautive de l'américanisme bee-line « route la plus courte pour se diriger d'un point à l'autre »; faute de Baudelaire dans ses trad. d'E. Poë
un temps d'abeilles (G. Bataille, Maman Colibri, 1904, p. 15) « très beau temps permettant aux abeilles de sortir de la ruche »
− Astres :
abeilles-comètes (V. Hugo, La Légende des siècles, 1859, p. 908)
Rem. Journet-Petit 1966 remarquent que abeille est ,,souvent empl. en vers et surtout dans la poésie descriptive, parce que les travaux et les mœurs des abeilles offrent des compar. gracieuses (cf. Besch. 1845 qui donne de nombreux ex.)``.
Le commentaire styl. le plus pertinent est fourni par le tabl., except. riche des assosc. syntagm., qui révèlent notamment l'utilisation fréquemment symbolique du n. de l'abeille, gén. en bonne part, mais aussi, quoique plus rarement, en mauvaise part (manquent cependant des qualificatifs comme
).