A.− [En parlant d'une chose] :
11. Quelque chose de bougrement magnifique, ce sont les tombeaux des rois (...) C'est très ravagé et abîmé, non pas par le temps, mais par les voyageurs et les savants.
G. Flaubert, Correspondance,1850, p. 205.
12. Des gestes redonnaient force aux mots abîmés par un trop fréquent usage.
R. Queneau, Pierrot mon ami,1942, p. 17.
B.− [En parlant d'une pers., parfois d'un pays habité, cf. ex. 14] :
13. Je suis abîmé d'avoir été si longtemps dans le monde. Quel étouffoir pour toute espèce de talent!
B. Constant, Journaux intimes,sept. 1804, p. 136.
14. Les journaux de France, en comparant l'état des finances des deux pays, représentaient toujours l'Angleterre comme abîmée de dettes, et la France comme maîtresse d'un trésor considérable.
G. de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française,t. 2, 1817, p. 305.
15. ... elle courut sur un sol qui était un peu mieux battu, abîmée, déchirée, salie à se faire peur, si elle avait pu se voir.
L.-E. Duranty, Le Malheur d'Henriette Gérard,1860, p. 329.
16. ... j'ai passé toute la semaine dernière dans mon lit, tellement abîmé de rhumatismes que je ne pouvais faire un mouvement sans crier.
G. Flaubert, Correspondance,1862, p. 52.
17. ... je constate que l'homme actuel est un être abîmé, dégradé, par le système social qu'il subit.
R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 164.
C.− [En parlant d'une partie de l'être phys. ou psychique, ou de l'aspect de l'homme] :
18. Ah! Quel déchirement cette nouvelle affreuse m'a causé! A peine si je puis vous écrire, tant mes yeux sont abîmés par les larmes.
G. de Staël, Correspondance générale,Lettres inédites à Louis de Narbonne, 1794, p. 228.
19. ... ces pauvres lieux où l'on fumait des cigarettes de Maryland, roulées si poétiquement avec des doigts abîmés d'engelures!
G. Flaubert, Correspondance,1857, p. 218.
20. ... ses cheveux jaunes, rares et collés sur le crâne, donnent à sa figure un air usé, un air sale, un air abîmé tout à fait affreux.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Une Vente, 1884, p. 140.
21. Après un instant la paysanne retira sa main abîmée par les grosses besognes, dont les ongles étaient chargés de terre, et la laissa tomber sur son tablier.
P.-J. Jouve, Paulina i880, 1925, p. 255.
Rem. L'adj. empl. au sens II est fréquemment accompagné d'un compl. introduit par l'une des prép. dans, sous, par ou de, et indiquant les circonstances dans lesquelles s'est produit l'abîmement. Avec dans, le compl. suggère l'image d'un être tombé au fond d'un abîme; avec sous, l'image est celle d'un écrasement sous la masse des éboulis; par et de introduisent un compl. d'agent ou de cause; par se construit avec un nom actualisé par l'article, avec l'idée que l'agent est une force de destruction; de se construit avec un inf. ou avec un nom sans article qui en raison de son indétermination suggère une idée de cause type, voire de mal(adie) déjà classique.
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En emploi subst. : 22. Les dernières, deux vieilles, ficelées dans des paquets de loques, la face noire de la poussière de la route où elles se prosternent par moments, chantent une de ces plaintes entrecoupées de longues aspirations et de hoquets, qui est le désespoir professionnel de ces abîmés.
P. Claudel, Connaissance de l'Est,1907, p. 26.