1. [En parlant de l'homme] :
16. Un prêtre assis à son chevet, le console. Ce ministre saint s'entretient avec l'agonisant de l'immortalité de son âme, et la scène sublime que l'Antiquité entière n'a présentée qu'une seule fois, dans le premier de ses philosophes mourans, se renouvelle chaque jour sur l'humble grabat du dernier des chrétiens qui expire. Enfin le moment suprême est arrivé, ...
F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 1, 1803, p. 79.
17. Pendant que je cherchais à faire revenir Gustave à lui-même, la cloche des agonisans se fit entendre dans un couvent voisin; c'était apparemment un des religieux qui luttait aussi avec la mort. Ce triste et lugubre tintement enfonçait l'agonie de la douleur dans mon âme, et mon front était inondé d'une sueur froide. Enfin, Gustave revint à la vie.
B.-J. de Krüdener, Valérie,1803, p. 251.
18. Elle s'efforçait de se trouver auprès du lit de mort des agonisans, afin d'adoucir leur dernière lutte, recueillait leur dernier soupir dans un baiser de fraternelle charité et priait Dieu avec ferveur et pendant des heures entières, de sanctifier la fin de ces infortunés et de les recevoir dans sa gloire.
Ch. de Montalembert, Hist. de sainte Élisabeth de Hongrie,1836, p. 107.
19. Mais il n'est pas de résistance à ce grand coup de la mort qui nous frappe tous à notre heure. Ma pauvre amie la baronne est à peu près aussi morte que son père; elle n'écrit plus, je n'ai de ses nouvelles que par sa mère, autre agonisante. Ainsi s'éteignent et les vies et les relations, et ce monde n'est, après tout, qu'un grand mortuaire.
E. de Guérin, Lettres,1841, p. 446.
20. Emma, le menton contre sa poitrine, ouvrait démesurément les paupières : et ses pauvres mains se traînaient sur les draps, avec ce geste hideux et doux des agonisants qui semblent vouloir déjà se recouvrir du suaire.
G. Flaubert, Madame Bovary,t. 2, 1857, p. 179.
21. La religieuse baisait follement une main pendante de la morte, une main d'ivoire pareille au grand Christ couché sur le lit. De l'autre côté du corps étendu, l'autre main semblait tenir encore le drap froissé de ce geste errant qu'on nomme le pli des agonisants; et le linge en avait conservé comme de petites vagues de toile, comme un souvenir de ces derniers mouvements qui précèdent l'éternelle immobilité.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, La Veillée, 1882, pp. 795-796.
22. Les femmes entraient pour regarder le mourant. Elles se signaient auprès du lit, balbutiaient une prière, ressortaient. Les hommes, moins avides de ce spectacle, jetaient un seul coup d'œil de la fenêtre qu'on avait ouverte.
MmeChicot expliquait l'agonie : « V'là deux jours qu'il est comme ça, ni plus ni moins, ni plus haut ni plus bas. Dirait-on point eune pompe qu'a pu d'iau? » Quand tout le monde eut vu l'agonisant, on pensa à la collation; ...
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,Le Vieux, 1884, p. 137.
23. La garde demanda : « Eh ben, vot' mé a-t-all' passé? » Il répondit, avec un pli malin au coin des yeux : « All' va plutôt mieux. » Et il s'en alla. La Rapet, saisie d'inquiétude, s'approcha de l'agonisante, qui demeurait dans le même état, oppressée et impassible, l'œil ouvert et les mains crispées sur sa couverture. Et la garde comprit que cela pouvait durer deux jours, quatre jours, huit jours ainsi;
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,Le Diable, 1886, p. 240.
24. ... bien souvent la pensée des agonisants est tournée vers le côté effectif, douloureux, obscur, viscéral, vers cet envers de la mort qui est précisément le côté qu'elle leur présente, qu'elle leur fait rudement sentir et qui ressemble beaucoup plus à un fardeau qui les écrase, à une difficulté de respirer, à un besoin de boire, qu'à ce que nous appelons l'idée de la mort.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,Du côté de chez Swann, 1913, p. 82.
25. ... « Mon métier, autant que le vôtre, est d'assister des agonisants. J'ai peut-être même vu mourir plus d'incroyants que vous, et j'ai de si atroces souvenirs que, si je pouvais faire à mes malades une injection de foi in extremis...! Je ne suis pas de ceux qui éprouvent pour le stoïcisme de la dernière heure une vénération mystique. Pour moi, je souhaite, sans vergogne, d'être, à ce moment-là, accessible aux plus consolantes certitudes. Et je crains autant une fin sans espérance qu'une agonie sans morphine... »
R. Martin du Gard, Les Thibault,La Mort du père, 1929, p. 1393.
26. Il n'y a que deux instants de nudité et de pureté parfaites dans la vie humaine : la naissance et la mort. On ne peut adorer Dieu sous la forme humaine sans souiller la divinité que comme nouveau-né et comme agonisant.
S. Weil, La Pesanteur et la grâce,1943, p. 45.
27. Ils n'en mouraient pas moins les uns après les autres au bout de quelques mois d'une langueur croissante, en dépit de la médecine qui les voyait glisser entre ses mains jusqu'à la mort. Comme elle ne comprit jamais rien à cette lente perte de vie, on finit par se passer d'elle. (...). Parmi eux, il n'y eut jamais d'agonisants Ils s'endormaient. Un beau matin on les retrouvait morts sous leurs couvre-lits bleu de roi et leurs deux colombes.
H. Bosco, Le Mas Théotime,1945, pp. 29-30.
2. Except. [En parlant d'un animal] :
28. Il vit, à quelques pas du seuil d'une chaumière,
Gisant à terre, un porc fétide qu'un boucher
Venait de saigner vif avant de l'écorcher;
Cette bête râlait devant cette masure :
Son cou s'ouvrait, béant d'une affreuse blessure;
Le soleil de midi brûlait l'agonisant;
V. Hugo, La Légende des siècles,Sultan Mourad, t. 2, 1859, p. 455.
Rem. 1. Syntagmes :
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Confrérie des agonisants (ou Pères agonisants). Confrérie ayant pour vocation d'assister les mourants, particulièrement les condamnés à mort, et de prier pour leur salut. (Selon Besch. 1845, cette confrérie aurait cessé d'exister en 1790) : 29. Il [le condamné] était pieds nus, habillé d'une longue robe noire sur laquelle on avait cousu à la place du cœur une croix bleue et rouge. C'est l'insigne de la confrérie des agonisants.
P. Mérimée, Mosaïque,1833, p. 282.
30. Le P. Batterel (...) a presque de l'onction dès qu'il touche à la spiritualité oratorienne. Il dira par exemple à propos du Pain cuit sous la cendre,
œuvre gothique du P. Foucault : « Ce saint prêtre (...) se sert de la conjoncture de la contagion qui enlevait alors (Orléans, 1631) bien du monde, pour exciter ses paroissiens, et surtout ceux qui étaient de la confrérie des agonisants, à sauver du moins les âmes de leurs frères, par les secours de leurs prières, et les leurs propres par l'exercice de la charité, s'ils ne peuvent sauver leurs corps de la mort dont la peste les menaçait... etc. Mémoires domestiques II, p. 140... »
H. Bremond, Hist. littéraire du sentiment religieux en France,t. 3, 1921, p. 217.
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Messe des agonisants : 31. En effet, la veille même de sa mort, il oublia pour l'amour de Dieu ses propres intérêts, lorsqu'ils devaient être les plus sensibles. Car, comme un des pères, le voyant défaillir, s'offrit d'aller dire à son intention la messe des agonisants, il répondit qu'il ne devait pas être considéré, et le pria de célébrer la messe du jour des rois, en l'honneur du règne de Jésus-Christ...
H. Bremond, Hist. littéraire du sentiment religieux en France,t. 3, 1921p. 416.
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Fréq. Prières des agonisants : 32. ... Louis, répétant avec son confesseur les prières des agonisants, savouroit à longs traits la mort.
F.-R. de Chateaubriand, Essai sur les Révolutions, t. 2, 1797, p. 198.
33. Tout le monde connoît les belles prières des agonisans. On y lit d'abord l'oraison Proficiscere : « Sortez de ce monde, âme chrétienne ». Ensuite cet endroit de la Passion : « En ce temps-là, Jésus, étant sorti, s'en alla à la montagne des Oliviers, etc. » Puis le psaume « Miserere mei »; puis cette lecture de l'Apocalypse : « En ces jours-là j'ai vu des morts, grands et petits, qui comparurent devant le trône, etc. » Enfin, la fameuse vision d'Ézéchiel : « La main du Seigneur fut sur moi, et m'ayant mené dehors par l'esprit du Seigneur, elle me laissa au milieu d'une campagne qui étoit toute couverte d'ossemens. Alors le Seigneur me dit : Prophétise à l'Esprit; fils de l'homme, dis à l'Esprit : Venez des quatre-vents, et soufflez sur ces morts, afin qu'ils revivent, etc. »
F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 2, 1803, pp. 293-294.
34. Nous avions appris la mort de la mère Alippe le matin en sortant de nos cellules. On s'abordait tristement, on pleurait, on était triste, mais calme, car dès la veille la digne créature était condamnée et était entrée dans son agonie. On nous avait caché cette lutte suprême, mais sans nous laisser d'espoir. Par un sentiment de respect pour le repos de l'enfance, ces tristes heures s'étaient écoulées sans bruit. Nous n'avions entendu ni son de cloche, ni prières des agonisants. Le lugubre appareil de la mort nous avait été voilé.
G. Sand, Histoire de ma vie,t. 3, 1855, pp. 223-224.
35. Cette conversation qui continuait, à bâtons rompus, sur la Trappe, finit par se fixer sur la mort dans les cloîtres et M. Bruno divulgua quelques détails. − Quand la mort est proche, fit-il, le Père Abbé dessine sur la terre une croix de cendre bénite que l'on recouvre de paille et l'on y dépose, enveloppé dans un drap de serge, le moribond. Les frères récitent auprès de lui les prières des agonisants et, au moment où il expire, on chante en chœur le répons : « Subvenite sancti dei ». Le Père Abbé encense le cadavre qu'on lave tandis que les moines psalmodient l'office des trépassés dans une autre pièce.
J.-K. Huysmans, En route,t. 2, 1895, pp. 235-246.
36. Cependant la vie baissait. Soudain la mère tenta de se dresser : elle demanda Gaspard dans un souffle (...). Puis elle se trouva si mal qu'il fallut dire les prières des agonisants :
« Rendez-vous propice, pardonnez-lui, Seigneur, Rendez-vous propice, secourez-la, Seigneur... »
H. Pourrat, Gaspard des montagnes,Le Château des sept portes, 1922, pp. 105-106.
Rem. 2. Agonisant adj. et subst. est en outre souvent associé paradigmatiquement ou syntagmatiquement, avec les termes suiv. : a) Subst. chambre, lit, prières, vie; b) Subst. ou adj. moribond, mort, mourant, vivant; c) Verbes assister, expirer, mourir, rendre l'âme, vivre.