1. [Par réflexe acquis, par actualisation d'une connaissance mémorisée antérieurement] Saisir intellectuellement le rapport de signification qui existe entre tel signe et la chose signifiée, notamment au niveau du discours. Comprendre qqc.; p. ell. comprendre qqn (comprendre ce que dit qqn) :4. ... il [un moderne, en entendant prononcer le mot arbre] logera ce signe en sa tête, dans une case étiquetée et distincte; c'est là ce qu'aujourd'hui nous appelons comprendre.
H. Taine, Philos. de l'art,t. 1, 1865, p. 152.
5. Comprendre consiste dans la substitution plus ou moins rapide d'un système de sonorités, de durées et de signes par tout autre chose, qui est en somme une modification ou une réorganisation intérieure de la personne à qui l'on parle. Et voici la contre-épreuve de cette proposition : c'est que la personne qui n'a pas compris répète, ou se fait répéter les mots. Par conséquence, la perfection d'un discours dont l'unique objet est la compréhension consiste évidemment dans la facilité avec laquelle la parole qui le constitue se transforme en tout autre chose, ...
Valéry, Variété V,1944, p. 143.
SYNT. Comprendre + loc. adv. : comprendre à demi-mot. Il avait l'esprit prompt et comprenait à demi-mot (R. Rolland, Jean-Christophe, L'Adolescent, 1905, p. 353), comprendre de travers; comprendre + subst. : comprendre un document, une explication, les finesses de la langue, une idée, le langage de, une langue, le latin, un mot (ne pas comprendre un mot de), les paroles de, une pensée, une question, un raisonnement, le sens de, un signe, la signification de; verbe + comprendre : affecter de (ne pas) comprendre, (n')avoir (pas) l'air de comprendre, avouer (ne pas) comprendre, croire comprendre (je crois comprendre), faire semblant de (ne pas) comprendre, feindre de (ne pas) comprendre, paraître (ne pas) comprendre, se faire comprendre (s'exprimer clairement); comprendre + prop. a) comprendre + prop. compl. : comprendre ce que dit (telle pers.), ce que signifie (telle chose), comprendre ce que parler veut dire; b) comprendre + prop. suj. : comprenne qui pourra (formule utilisée à propos d'une matière délicate, quand on ne veut s'expliquer davantage, cf. J. Bousquet, Traduit du silence, 1935-36, p. 76 et Gide, Journal, 1946, p. 290, avec la var. comprenne qui peut ou qui veut).
PARAD. (Quasi-)synon. déchiffrer, entendre, interpréter, traduire; pop. entraver, piger.
− En interj. (dans un dialogue fam.). Je comprends! Tu comprends! Vous comprenez! (Marque ou appelle l'approbation). Citoyens nous avons soupé de (...) Je comprends! y dit un. Oui, oui, y crient les autres tous (Musette, Cagayous partout,1905, p. 21).
2. [Par effort de réflexion] a) Se faire une idée claire des causes, des conséquences, etc., qui se rattachent à telle chose et qui l'expliquent. Comprendre qqc. (à qqc.).L'intelligence (...) cette faculté de comprendre les relations des choses (Carrel, L'Homme, cet inconnu,1935, p. 141):6. Les expériences scientifiques sont faites d'après une idée préconçue qu'il s'agit de vérifier ou de contrôler afin de comprendre le phénomène et de saisir dans toutes les circonstances qui accompagnent la production du phénomène celle qui constitue réellement son déterminisme et qui doit être appelée sa cause prochaine.
C. Bernard, Principes de méd. exp.,1878, p. 4.
7. ... il est vain d'espérer « comprendre » le fonctionnement du système nerveux, c'est-à-dire de prétendre déduire ce fonctionnement de la seule structure « visible » (actuellement ou virtuellement), et de notre habitude des liaisons mécaniques et physiques.
Ruyer, La Conscience et le corps,1937, p. 37.
SYNT. Comprendre + adv. : comprendre admirablement, aisément, bien (fort bien), clairement, difficilement, facilement, mal (fort mal), parfaitement, pleinement, vaguement; comprendre + loc. : comprendre à peine, à merveille, à moitié, sans peine, ne pas comprendre grand chose à, ne rien comprendre à rien, n'y comprendre goutte; comprendre + subst. : comprendre la cause, le fonctionnement, la genèse, le lien, le mécanisme, l'origine, la raison, le rapport, le rôle (de telle chose); subst. + de + comprendre : difficulté, faculté de comprendre; verbe + comprendre : vouloir comprendre; verbe + à + comprendre : aider, arriver, avoir peine, chercher, parvenir à comprendre; verbe + de + comprendre : s'efforcer, essayer, permettre, tâcher de comprendre; prop. + comprendre : il est aisé/difficile/facile/impossible de comprendre, vous êtes assez intelligent pour comprendre/trop intelligent pour ne pas comprendre. (Il ne) faut pas chercher à comprendre ou essayer de comprendre (cf. Esn. Poilu 1919, p. 575 et Bernanos, Journal d'un curé de campagne, 1936, p. 1033), il n'y a rien à comprendre. PARAD. a) (Quasi-) synon. appréhender, pénétrer. b) (Quasi-)anton. embrouiller, enchevêtrer.
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En partic. [D'un point de vue métaphysique] Comprendre le passé, les phénomènes, la vie, etc. Comprendre leur principe, leur finalité : 8. La vie, je la comprends de moins en moins, et je l'aime de plus en plus. (...) on ne vieillit pas. Pour le cœur, c'est entendu : on le savait, du moins en amour. Eh bien, pour l'esprit, c'est la même chose. Il reste toujours jeune. On ne comprend pas plus la vie à quarante ans qu'à vingt, mais on le sait, et on l'avoue. C'est ça, de la jeunesse.
Renard, Journal,1907, p. 1106.
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Absol. Comprendre = comprendre le sens caché de tout ce qui est. Comprendre est le tout de l'homme (Amiel, Journal intime,1866, p. 207):9. J'ai reconnu que j'étais peu de chose : raison, sentiment, instinct réunis, cela fait encore un être si fini et une action si bornée, qu'il faut en revenir à l'humilité chrétienne jusqu'à ce point de dire : « Je sens vivement, je comprends fort peu et j'aime beaucoup ». Mais il faut quitter l'orthodoxie catholique quand elle dit : je prétends sentir et aimer sans rien comprendre.
G. Sand, Histoire de ma vie,t. 4, 1855, p. 306.
b) Se faire une conception personnelle idéale de telle chose. Comprendre qqc. de telle façon, manière de comprendre (telle chose), voilà comme je comprends telle chose : 10. On demande quelle est cette plénitude de bonheur céleste, promise à la vertu par le christianisme; on se plaint de sa trop grande mysticité : « Du moins, dans le système mythologique, dit-on, on pouvoit se former une image des plaisirs des ombres heureuses; mais comment comprendre la félicité des élus? » Fénelon l'a cependant devinée cette félicité, lorsqu'il fait descendre Télémaque au séjour des mânes : son Élysée est visiblement un paradis chrétien.
Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 1, 1803, p. 270.
SYNT. Comprendre l'amour, le bonheur, la vie (de telle façon).
PARAD. Imaginer, se figurer, interpréter, se représenter (telle chose ou telle façon).
− En partic., domaine des arts.Concevoir un sujet et l'exprimer de telle façon. La Madone telle que le peintre d'Urbin la comprenait dans les derniers temps de sa vie, au sommet de sa troisième manière (T. Gautier, Guide de l'amateur au Musée du Louvre,1872, p. 33).Comprendre les statues comme l'expression fixée d'une certaine sensibilité (Barrès, Le Voyage de Sparte,1906, p. 66).
3. [Par intuition, dans une saisie spontanée (gén. après une longue maturation plus ou moins inconsciente de l'observation, du jugement, de l'expérience personnelle)] a) Se rendre compte de la réalité de telle chose, prendre conscience de son importance. Comprendre qqc. :11. La proposition du prêtre venait de remuer en elle ce coin obscur, où elle évitait de lire; et, à la douleur qu'elle éprouvait, elle comprenait enfin la gravité de son mal, elle avait l'effarement de pudeur d'une femme qui sent glisser son dernier vêtement.
Zola, Une Page d'amour,1878, p. 874.
12. ... tout à coup, j'eus le sentiment que le visage de ma mère avait changé. (...) dans la conjugaison de tous ces signes, il me fallait bien distinguer quelque chose de nouveau, de très triste et de très angoissant. (...). Je compris tout cela soudain...
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Jardin des bêtes sauvages, 1934, p. 36.
SYNT. Comprendre + adv. : comprendre immédiatement, rapidement, sur-le-champ, tout de suite, vite; comprendre + subst. : comprendre son devoir, son erreur, comprendre le danger/l'étendue/la gravité/l'importance/l'intérêt/la nécessité/la portée/le prix/l'utilité/la valeur de; verbe + comprendre : faire comprendre (nettement), ne pas oser comprendre, commencer/ne pas tarder à comprendre, refuser de comprendre, finir par comprendre; comprendre + prop. : comprendre qu'il s'agit de. PARAD. a) (Quasi-)synon. apercevoir, discerner, y être (j'y suis!), réaliser, remarquer, se représenter, saisir, voir. b) (Quasi-)anton. ignorer, laisser échapper, méconnaître.
Rem. gramm. (relative aux emplois II B 1, 2, 3). Comprendre que peut se construire avec l'ind. (s'il s'agit d'un jugement de fait) ou, plus fréquemment dans la lang. littér., le subjonctif (s'il s'agit d'un jugement de valeur). Vous comprenez que je ne suis pas la première venue (Bloy, La Femme pauvre, 1897, p. 116).
b) Appréhender quelqu'un ou quelque chose dans toute la vérité de sa nature profonde, par une communion affective, spirituelle. Comprendre qqn, qqc.−
[Le compl. d'obj. désigne une pers., son tempérament, son comportement, etc.] Percevoir la vraie nature de telle personne par une disposition d'esprit très favorable, voire complice, en allant parfois jusqu'à reconnaître explicitement le bien-fondé de ses motivations particulières et même jusqu'à excuser ses travers avec une extrême indulgence. Comprendre profondément, comprendre l'Homme. Comprendre et approuver ce qu'est une existence vouée à la galanterie (Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs,1918, p. 606):13. Quel mystère que la pensée inconnue d'un être, la pensée cachée et libre, que nous ne pouvons ni connaître, ni conduire, ni dominer, ni vaincre! Et moi, j'ai beau vouloir me donner tout entier, ouvrir toutes les portes de mon âme, je ne parviens point à me livrer. Je garde au fond, tout au fond, ce lieu secret du moi où personne ne pénètre. Personne ne peut le découvrir, y entrer, parce que personne ne me ressemble, parce que personne ne comprend personne.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Solitude, 1884, p. 926.
14. ... je n'oublierai plus ce que je pense et ce que je sens, ce à quoi j'adhère, en épousant jusqu'à me perdre complètement le point de vue de chacun de ceux que j'étudie, ce point de vue, je l'épouserai tout autant pour le comprendre, et pour le comprendre sympathiquement; mais ceci fait, je ne m'interdirai plus de dégager dans chaque cas mon équation ou ma différence personnelle : ...
Du Bos, Journal,1927, p. 243.
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Absolument : 15. Je suis heureux. Et je vais vous confier le secret de mon bonheur. Il est simple. J'aime autrui. J'aime aimer. Je hais la haine. Je m'efforce de comprendre et d'admettre.
Cocteau, Poésie critique 2,1960, p. 16.
SYNT. Comprendre + subst. : comprendre l'attitude, le caractère, l'esprit, les inquiétudes, les intentions, les motifs, la position, les scrupules, les sentiments, la situation de (telle pers.). Un brave homme qui comprendra ma situation et qui me tendra la main (Maupassant, Contes et nouvelles, t. 2, Une lettre, 1885, p. 584); comprendre son temps. Opiniâtre attachement au passé, qui le rendait incapable de comprendre son temps (Michelet, Hist. romaine, t. 2, 1831, p. 221); verbe + comprendre : devoir comprendre (vous devez me comprendre), être apte à comprendre/être capable, incapable de (tout) comprendre, falloir comprendre (il faut me comprendre), pouvoir comprendre (tu ne peux pas comprendre, etc.), savoir comprendre.
PARAD. (Quasi-)synon. a) se mettre à la place de, participer, saisir, sentir; b) disculper, excuser, justifier, pardonner.
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En partic. ♦
[Le compl. d'obj. désigne un artiste, son art] Vibrer de la même sensibilité, partager les mêmes goûts esthétiques, savoir apprécier. Le type tout fait de l'homme riche incapable de comprendre et d'aimer sincèrement les œuvres d'art (Larbaud, A. O. Barnabooth,1913, p. 127):16. Il ne peut être question pour lui [le snob] d'acquérir les talents qu'il convoite; (...). C'est donc, dans la faculté d'apprécier, dans le goût, dans le jugement qu'il fait tenir le sentiment de sa valeur. Avec soin il évite les œuvres. Il a pour devise « comprendre c'est égaler » et tout bas ajoute « c'est surpasser ».
Gaultier, Le Bovarysme,1902, p. 87.
SYNT. Comprendre l'art, le charme, le génie, l'harmonie, l'originalité de.
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[Le compl. d'obj. désigne une entité plus ou moins personnifiée] Comprendre Dieu, la nature : 17. ... quelque chose de la vie des éléments émanant d'eux-mêmes, sans doute à l'attraction de nos regards, arrivait jusqu'à nous, et, s'y assimilant, faisait que nous les comprenions dans un rapport moins éloigné, que nous les sentions plus avant, grâce à cette union plus complexe. À force de nous en pénétrer, d'y entrer, nous devenions nature aussi, nous nous diffusions en elle, elle nous reprenait, nous sentions qu'elle gagnait sur nous et nous en avions une joie démesurée; nous aurions voulu nous y perdre, être pris par elle ou l'emporter en nous.
Flaubert, Par les champs et par les grèves,1848, p. 256.
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P. ext. [Le compl. d'obj. désigne une chose abstr.] Madame Dorval, qui eût très-bien compris et senti les idées générales, mais qui en repoussait vivement l'examen et la préoccupation (G. Sand, Histoire de ma vie,t. 4, 1855, p. 228).Faire immédiatement le point, comprendre vivement des objets nouveaux, situer d'un coup d'œil le cœur des circonstances (Mounier, Traité du caractère,1946, p. 627).SYNT. Comprendre les choses (= avoir l'esprit large, se montrer tolérant). Demeure ouvert à toutes les raisons qu'on lui donne (...) comprend les choses (Mauriac, Journal du temps de l'occupation, 1944, p. 322); comprendre la plaisanterie (= l'accepter sans se formaliser et même la pratiquer volontiers). Tel qui ne comprend pas la plaisanterie a pris au tragique une expression jetée en passant (Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, p. 160).