1. [Le compl. d'obj. désigne un aspect de la pers., une faculté ou un comportement dont on attend normalement un fonctionnement conforme à la mor.] Altérer gravement et souvent définitivement le bon fonctionnement normalement attendu, en particulier dans le domaine sexuel. Dépraver le cœur, l'esprit, l'âme de qqn. Synon. dénaturer.L'oubli de toute délicatesse, l'inaptitude aux sentimens généreux, et le joug de la misère, les [les filles publiques] livrent aux caprices les plus brutes de l'homme en qui une telle habitude dépravera aussi les sensations et les désirs (Senancour, Obermann,t. 2, 1840, p. 85).Tout ce qui procure une griserie artificielle, tout ce qui frelate, déprave et vicie la nature, je m'en suis toujours farouchement détourné (Gide, Journal,1935, p. 1222):3. Partout, l'ignorance, la tyrannie, la misère, ont frappé de stupeur les nations; et des habitudes vicieuses dépravant les sens naturels, ont détruit jusqu'à l'instinct du bonheur et de la vérité : ...
Volney, Les Ruines,1791, p. 114.
♦ Emploi pronom. à sens passif. Ces précautions ressemblent à ces examens de conscience tout faits, où les imaginations pures se dépravent en réfléchissant à des monstruosités ignorées (Balzac, Splend. et mis.,1847, p. 519).
− [L'ambiance dégradante est surtout évoquée par le suj.] Dépravée par la douleur, elle recherchait ardemment tout ce qui irritait ses nerfs, tout ce qui titillait et éveillait son apathie (Borel, Champavert,1833, p. 142).Ce leit-motiv d'infamie sur la biographie de chacun, déprave et déforme tout autour de moi (Lorrain, Phocas,1901p. 279).
2. P. ext., dans d'autres domaines. Altérer, fausser gravement et souvent définitivement une chose en en dégradant le fonctionnement ou les manifestations, les formes. a) [Le compl. d'obj. désigne un aspect, une fonction de l'être humain] L'éducation avait faussé leur nature, sans la dépraver pourtant d'une façon inguérissable (Sandeau, Sacs,1851, p. 60):4. Les portions affectives de sa [d'Ortègue] personne étaient atteintes jusqu'à en être dépravées. (...) Cette cohabitation de tous les instants me permettait trop de constater la décomposition morale de son être, ...
Bourget, Le Sens de la mort,1915, p. 180.
b) [Le compl. d'obj. désigne une valeur intellectuelle ou esthétique] Dépraver le goût. Synon. vicier.L'art est fait pour orner et fortifier l'esprit, non pour le dépraver et l'affaiblir (Saint-Saëns, Harm. et mélod.,1885, p. 312).Le monde intérieur est toujours menacé d'une confusion de sensations obscures, de souvenirs, de tensions, de paroles virtuelles, où ce que nous désirons observer et saisir, altère, déprave en quelque sorte l'observation elle-même (Valéry, Variété IV,1938, p. 111).♦ Emploi pronom. à sens passif. La raison se détourne de sa lumière, se déprave (Éluard, Donner,1939, p. 117).
c) [Le compl. d'obj. désigne une institution humaine qui représente une valeur morale] Tu te livres à des égarements sanctionnés par les lois; en un mot tu dépraves l'institution du mariage (Balzac, Mém. jeunes mar.,1842, p. 368).