1. Être dans l'état de sommeil. Les faisans dormaient sur les branches (Genevoix, Raboliot,1925, p. 176).Dix heures et demie du soir. L'école dormait (Malègue, Augustin,t. 1, 1933, p. 331):1. Il dort, mon Bénoni! Viens le voir, il repose;
Marche bien doucement, car le bruit l'indispose.
Viens le voir au salon d'où chacun s'est banni;
Parlons bas, parlons bas, s'il allait nous entendre,
S'éveiller pour souffrir, son sommeil est si tendre!
Il dort, mon Bénoni!
Borel, Rhapsodies,1831, p. 25.
2. Un homme avait lutté toute la nuit pour trouver le sommeil. Il allait s'endormir. Il entendait que son ennemi entrait chez lui au moment même où ses yeux se fermaient. Il ne cherchait pas à ouvrir les yeux. Il avait tellement besoin de dormir. Il s'endormait. Son ennemi le tuait. Cet homme s'en moquait. Il s'était endormi au moins avant de mourir.
Jouhandeau, M. Godeau,1926, p. 116.
− Dormir + compl. d'obj. interne.Dormir d'un profond sommeil. Dormir d'un bon somme, de bon somme (Ac. 1798-1932) Elle [une fillette] dormait de ce sommeil d'absolue confiance propre à son âge (Hugo, Misér.,t. 1, 1862, p. 187).Il dormait d'un épais sommeil ivre (Gide, Immor.,1902, p. 442).
− Dormir + compl. circ. dir. de temps.Dormir une demi-heure, une heure. Elles dormirent la grasse matinée (Balzac, Goriot,1835, p. 213).Comme j'aurais voulu dormir mes douze heures (Erckm.-Chatr., Conscrit1813, 1864, p. 67).
− Rare, emploi subst. masc. de l'inf. prés. (au sing. seulement). Disposition à dormir, fait de dormir. Synon. sommeil.Le dormir paisible dans les herbes épaisses (France, Puits ste Claire,1895, p. 29).Essayez d'ajourner le dormir ou le manger, ils vous assiègeront (Alain, Propos,1931, p. 986).
− Proverbes. Qui dort dîne. ,,Le sommeil tient lieu de nourriture`` (Ac. 1835-1932). Le bien, la fortune lui vient en dormant. ,,En parlant d'une personne qui devient riche sans rien faire`` (Ac. 1798-1932). Il ne faut pas (r)éveiller le chat qui dort. Voir chat.
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Locutions a) [Désignant un sommeil profond ou paisible] Dormir comme un loir, comme une marmotte, comme un sabot, comme une souche; dormir à poings fermés, d'un sommeil de plomb; dormir comme un bienheureux, du sommeil du juste. Dormir profondément. Dormir (tout) debout; (au fig.) un conte, une histoire, etc. à dormir debout. Cf. debout.Au fig. dormir sur les/ses deux oreilles. N'être nullement inquiété. Je veillerai à votre sécurité, dormez sur les deux oreilles (Ac.1835-1932).
b) [Désignant un sommeil léger] Souvent en emploi fig. Ne dormir que d'un œil, que d'une oreille; dormir les yeux ouverts, en gendarme. Dormir à demi, tout en restant aux aguets. Être sur le qui-vive. Il n'en dort pas. Il est préoccupé ou inquiété par quelque chose qui le tient en éveil.
c) [Désignant une attitude du corps pendant le sommeil] Dormir en chien (de fusil). Dormir recroquevillé sur soi-même. V. chien ex. 10.
d) Arg. Se faire dormir. Dormir. Envoyer dormir. Assommer (Carabelli, [Lang. pop.]). SYNT. Dormir dans son berceau, dans/entre les bras de qqn, côte à côte, dans une chambre, sur un divan, dans un fauteuil, sur l'herbe, dans un lit, sur le sein de qqn, au soleil, sous la tente; j'ai bien, mal, peu, trop dormi; je n'ai pas dormi de la nuit; dormir jusqu'à midi, en paix; dormir et rêver, et se réveiller; dormir seul, tranquille, paisiblement, profondément; se coucher et, manger et, reposer et, veiller et dormir. Aller, avoir l'air de, avoir besoin de, avoir envie de, empêcher de, essayer de, pouvoir, faire semblant de, feindre de, rentrer, tâcher de dormir; l'enfant, tout (le monde), le village, la ville dort.
2. P. anal. a) Demeurer immobile comme une personne livrée au sommeil. La cétoine qui dort dans le cœur de la rose (Apoll., Alcools,1913, p. 42).
b) P. euphém. Reposer dans la mort. Dormir au cimetière. Le patriarche [Jacob] porté après sa mort à la cave de Membré pour y dormir avec ses pères (Chateaubr., Martyrs,t. 1, 1810, p. 175).Le vieux capétien qui dort sous les dalles du chœur (Vidal de La Bl., Tabl. géogr. Fr.,1908, p. 161).
4. Au fig., péj. Demeurer inactif, inconscient, rêveur ou irrésolu, au lieu d'agir. Dormir sur son travail. Il lui arrive souvent [au Français] de créer et de dormir sur son œuvre (Valéry, Regards sur monde act.,1931, p. 134):3. J'ai l'impression pénible que l'Amérique dort, qu'elle ne sait pas encore qu'elle est en guerre. Quel douloureux réveil y aura-t-il un jour...
Green, Journal,1942, p. 207.
4. Observez vos voisins, si, par chance, il survient un décès dans l'immeuble. Ils dormaient dans leur petite vie et voilà, par exemple, que le concierge meurt. Aussitôt, ils s'éveillent, frétillent, s'informent, s'apitoient. Un mort sous presse, et le spectacle commence enfin.
Camus, La Chute,1956, p. 1490.