A. − Loc. et expr. −
Faire tache d'huile. Se répandre de manière lente, insensible et continue. Cette douleur me fait oublier mon malaise, qui fait pourtant tache d'huile (Amiel, Journal,1866, p. 104).Gide, qui a bloqué toute la véhémence de sa protestation sur le seul thème pédérastique, s'est tu sur tout le reste parce que l'idée fixe a fait tache d'huile et lui a masqué tout ce reste (Du Bos, Journal,1928, p. 197).Des pauvres devenus puissants. Cette puissance nouvelle fait tache d'huile. Des pauvres, ici et là ont vu d'autres pauvres devenir puissants par des moyens tout différents de ceux de l'enrichissement classique (Perroux, Écon. xxes., 1964, p. 586).♦ C'est une tache d'huile. ,,Flétrissure (...) atteinte à la réputation qui ne peut s'effacer, se réparer (...); chose qu'on regarde comme un mal qui va toujours en augmentant`` (Ac.).
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Huile de bras (v. ce mot I B 2 a), huile de coude (v. ce mot I B b 5), huile de poignet*. Énergie, force, vigueur déployée dans l'accomplissement d'une tâche. Rem. Queneau a forgé sur ce modèle huile de rotule : Ce genre de sport ne demandait ni génie ni originalité, n'exigeait qu'un peu d'huile de rotule, rien de quoi se vanter (Loin Rueil, 1944, p. 64).
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Vieilli. Il n'y a plus d'huile dans la lampe. [En parlant d'une pers.] S'éteindre doucement, mourir de vieillesse, d'épuisement. Mmede Beaumont m'écrit du Mont-d'Or des lettres qui me font trembler : elle dit qu'elle sent qu'elle s'éteint, qu'il n'y a plus d'huile dans la lampe (Chateaubr., Corresp., t. 1, 1803, p. 125).Je ne pouvais plus vivre, et pour me servir d'une vieille comparaison très juste, je vous dirai : il n'y avait plus d'huile dans la lampe, elle s'éteint et nul ne peut la rallumer (Du Camp, Mém. suic.,1853, p. 306).♦ Tant qu'il y a de l'huile dans la lampe. Tant qu'on vit. Amis, mangeons et buvons joyeusement tant qu'il y a de l'huile dans la lampe : qui sait si dans l'autre monde nous nous reverrons? Qui sait si dans l'autre monde il y a une taverne? (A. France, Bonnard,1881, p. 303).
♦ La dernière goutte d'huile. Le dernier souffle de vie (Dict. xxes.).
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Jeter, mettre, verser de l'huile sur le feu. Attiser (un désir), pousser à (la dispute), envenimer (quelque chose). C'était toi, l'autre jour, qui jetais de l'huile sur le feu : tu étais déchaînée! (Mauriac, Mal Aimés,1945, p. 223).Les avocats qui fomentent les procès et jettent de l'huile sur le feu de peur que les plaideurs ne se réconcilient (Jankél., Je-ne-sais-quoi,1957, p. 184).♦ La goutte d'huile sur le feu. Chaque courrier vide me laisse accablée pendant une heure, influe sur toute ma journée. Un mot de vous, au contraire, c'est la goutte d'huile sur le feu, cela anime en moi une ferveur passionnée (Montherl., J. filles,1936, p. 997).
− Mer d'huile, p. anal. lac d'huile. Sans vagues, très calme. Une mer d'huile, que ne ridait aucun souffle (Lamart., Graziella,1849, p. 158).La nuit est belle. La mer plate comme un lac d'huile (Flaub., Corresp.,1858, p. 256).La nuit descend sur la baie, sous cette couverture de lourds nuages, sur cette mer d'huile (Gracq, Beau tén.,1945, p. 156).
− Mettre, verser de l'huile sur, dans les plaies (de qqn). Consoler, apaiser les souffrances (de quelqu'un). La France a besoin de repos : il faut verser de l'huile dans nos plaies, et non les ranimer et les élargir (Chateaubr., Mél. pol.,1816-24, p. 123).Emportez aussi les évangiles, fit l'abbé (...) ce seront les célestes ampoules où vous puiserez l'huile nécessaire pour panser vos plaies (Huysmans, En route, t. 1, 1895, p. 273).
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Mettre de l'huile dans les rouages, aux rouages; (mettre) une goutte d'huile dans les, aux rouages. Réduire les antagonismes, les difficultés, se montrer conciliant. Il me parut bon de mettre de l'huile aux rouages des relations franco-américaines à l'instant où les Anglais faisaient savoir officiellement qu'ils étaient prêts à attaquer les troupes françaises en Syrie (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 182) :9. Leuwen vola chez Mgrl'évêque; il fut reçu avec une hauteur, un dédain, une insolence même qui l'amusèrent. Il se disait en riant à soi-même, et parodiant la phrase favorite du saint prélat : « Je mettrai ceci au pied de la croix. » Il ne traita nullement d'affaires avec Mgrl'évêque. « Ceci est une goutte d'huile dans les rouages, rien de plus. »
Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 163.
− (Ouvrage qui) sent l'huile (littér. et vieilli). [P. réf. au travail nocturne à la lumière de la lampe à huile] Produit avec effort, où les traces du travail sont visibles. La correspondance avec Chateaubriand [de Béranger] était déjà en partie connue : elle est apprêtée, travaillée, et sent l'huile (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 1, 1863-1869, p. 200).
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Tirer de l'huile d'un caillou, d'un mur (vieilli). Tirer un gain (de quelque chose ou de quelqu'un) là où cela semble impossible. Tout le monde, excepté les ministres de l'état et les fonctionnaires du gouvernement, savait qu'il était plus facile de tirer de l'huile d'un caillou qu'un centime de Maubec (A. France, Île ping.,1908, p. 265).Rem. Lar. Lang. fr. mentionne jeter de l'huile : être vêtu avec recherche.
− Loc. adv. Dans l'huile. Avec facilité, aisance, sans problème. Évidemment, tout roulait dans l'huile, mais cependant... (Arnoux, Solde,1958, p. 180).La première (représentation d'un spectacle de ballets) se déroula « dans l'huile » et sans la moindre anicroche (Le Monde,21 mars 1954ds Gilb. 1971).Ça baigne dans l'huile.
B. − Pop. et fam. Personnage important, haut placé, influent. Le père est un grand manitou dans les chemins de fer, qu'on m'a raconté... c'est une huile (Céline, Voyage,1932, p. 135).Zézette regarda Brunet hardiment (...). Elle n'avait pas peur des hommes, celle-là, même que ce soit des bourgeois ou des huiles du Parti (Sartre, Sursis,1945, p. 17) :10. ... ils entendirent des bruits de roues : c'était une berline qui arrivait au pas; quatre lanciers l'escortaient (...). Le cocher conduisait comme s'il était en train de porter le Saint-Sacrement. − On doit trimbaler un bonnet fameusement gros. Les lanciers cependant n'avaient pas l'air d'être « en service d'huiles ». L'un d'eux fumait même la pipe.
Giono, Bonh. fou,1957, p. 373.
♦ Être, nager dans, parmi les huiles. Fréquenter des gens importants, être un personnage haut placé. J'aurais pu en rester là et, comme d'autres, nager parmi les huiles et les honneurs (Cendrars, Main coupée,1946, p. 103).
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En partic., arg. milit. Officier supérieur. On voyait les galonnés (...) Judex (...) disait dans son jargon! − Vise! les « huiles » qui « font vinaigre »! (Vialar, Morts viv.,1947, p. 98).Rem. On relève ds Michel 1856, Larch. 1880, France 1907, un emploi arg. vx au sens de « argent ».