1. Croyance ou conception erronée procédant d'un jugement ou d'un raisonnement faux (dû à l'ignorance ou à l'imagination). Quant à la question de la médecine artistique, elle est une pure illusion fondée sur une idée fausse (Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 48).L'opposition du sentiment et de la pensée a donc pour effet de susciter une véritable illusion philosophique, en scindant la vie organique de l'esprit en deux substances isolées et ennemies (J. Vuillemin, Essai signif. mort,1949, p. 88) :6. Il est évident que mécanicisme et vitalisme doivent être rejetés au même titre que tout autre système. Il faut nous libérer en même temps de la masse des illusions, des erreurs, des observations mal faites, des faux problèmes poursuivis par les faibles d'esprit de la science, des pseudo-découvertes des charlatans, des savants célébrés par la presse quotidienne.
Carrel, L'Homme,1935, p. 39.
SYNT. Illusion collective, commune, générale, individuelle; illusion inconsciente, volontaire; illusions humaines, populaires, modernes; illusions dangereuses, fâcheuses, funestes, trompeuses; illusion de la conscience, de l'esprit, de l'imagination, de l'intelligence, de la pensée, de la raison; l'illusion mathématique, mécanistique, métaphysique, rationaliste, matérialiste; l'illusion libérale, républicaine; l'illusion de la science, des chiffres, de la démocratie.
♦ ÉCON. Illusion monétaire. Phénomène par lequel des individus sont portés à surestimer leur revenu réel dont ils apprécient de façon erronée l'évolution en la confondant avec celle de leurs revenus nominaux, sans tenir compte de la hausse des prix. Cette inconscience est d'autant plus grande que le taux d'inflation est faible (de 1 à 3 %). L'inflation lente ou rampante crée donc une illusion monétaire qui a pu être considérée comme un moyen d'accroître la propension à épargner et l'incitation à investir (Cotta1972).
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[Avec accentuation de la composante affective] Croyance erronée, idée vaine dont le caractère séduisant abuse l'esprit et le cœur. L'âme caresse l'illusion de l'infini; comment? En évitant le fini. Mauvais moyen, pauvre stratagème; ruse instinctive du cœur qui désire s'abuser (Amiel, Journal,1866, p. 237).Pureté et tendresse, pourquoi vous avoir séparées? Nous ne voulons renoncer ni à la pureté, ni à la tendresse : est-ce une vérité retrouvée ou une illusion que l'enfant Mozart nous impose? (Mauriac, Journal 2,1937, p. 131) :7. Et sans doute c'était une grande tentation que de recréer la vraie vie, de rajeunir les impressions. Mais il y fallait du courage de tout genre, et même sentimental. Car c'était avant tout abroger ses plus chères illusions, cesser de croire à l'objectivité de ce qu'on a élaboré soi-même, et, au lieu de se bercer une centième fois de ces mots : « Elle était bien gentille », lire au travers : « J'avais du plaisir à l'embrasser ».
Proust, Temps retr.,1922, p. 896.
SYNT. Douce, folle, grande illusion; illusion consolante, rassurante; illusions charmantes, ravissantes, séduisantes; une illusion amoureuse, enchanteresse, voluptueuse; les illusions de la jeunesse, de la vie; les illusions de l'amour, de l'amitié, de l'amour-propre, de la vanité; les illusions de l'espérance; les illusions du langage; une illusion de liberté, l'illusion de la liberté; avoir, se faire une (des) illusion(s); avoir, se donner l'illusion de (faire qqc.); ne pas avoir, ne pas se faire d'illusion; être sans illusion; entretenir, nourrir une illusion; jouir d'une illusion; se bercer, se payer, se repaître d'illusions; détruire, dissiper les illusions; garder, perdre ses illusions.
2. P. méton. a) Caractère trompeur d'une chose. Voulez-vous encore vous convaincre davantage de l'illusion de ces préceptes? (Chateaubr., Essai Révol., t. 2, 1797, p. 96).
b) Artifice (dû à une puissance magique, au démon) qui séduit et trompe. Méphistophélès dans les longs habits de Faust : Méprise bien la raison et la science, suprême force de l'humanité. Laisse-toi désarmer par les illusions et les prestiges de l'esprit malin (Nerval, Sec. Faust,1840, 1repart., p. 76).
c) Ce qui est l'objet d'une croyance ou d'une conception erronée; chose à laquelle l'esprit prête abusivement une existence ou une valeur réelle. Ne regrettez jamais un monde dont les biens ne sont qu'illusions, les grandeurs que songes, et les plaisirs qu'impostures (Cottin, Mathilde, t. 1, 1805, p. 175).Littré leur porta le coup de grâce en affirmant que jamais il n'y eut d'orthographe positive, et qu'il ne saurait y en avoir. Ils en conclurent que la syntaxe est une fantaisie et la grammaire une illusion (Flaub., Bouvard, t. 2, 1880, p. 16).
3. Acte de l'esprit qui s'abuse ou se laisse abuser par des idées fausses, des conceptions chimériques et séduisantes; état qui en résulte. Besoin, capacité, faculté, force, pouvoir d'illusion; les douceurs, le pouvoir de l'illusion; tomber, vivre dans l'illusion. Il est vrai que certains ont pu céder à l'illusion ou au découragement quand le désastre et le mensonge avaient submergé notre pays (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 405) :8. Une fois que dans le malheur un homme peut se faire un roman d'espérance par une suite de raisonnements plus ou moins justes avec lesquels il bourre son oreiller pour y reposer sa tête, il est souvent sauvé. Beaucoup de gens ont pris la confiance que donne l'illusion pour de l'énergie. Peut-être l'espoir est-il la moitié du courage, aussi la religion catholique en a-t-elle fait une vertu.
Balzac, C. Birotteau,1837, p. 247.
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Locutions ♦
Faire illusion. Tromper en se présentant ou en présentant quelque chose sous une apparence flatteuse qui ne correspond pas à la réalité. Faire illusion à qqn; faire illusion sur qqc. [Un] style de journal qui veut faire illusion sur la pensée nulle ou puérile par l'insolite du style (Stendhal, H. Brulard, t. 2, 1836, p. 403).Donner continuellement le change, n'être jamais soi, faire illusion, c'est une fatigue (Hugo, Travaill. mer,1866, p. 212) :9. Dans les premiers temps de leur mariage, Ferdinand lui avait fait illusion. Il perdait alors sa virginité et s'employait avec une ardeur d'assez bon augure.
Aymé, Jument,1933, p. 186.
♦ Se faire illusion. S'abuser, se tromper en s'imaginant ou en imaginant quelque chose ou quelqu'un sous un jour flatteur ou trop favorable. Se faire illusion à soi-même; se faire illusion sur qqc., sur qqn. Pour me faire illusion à moi-même sur mes motifs et m'en déguiser honnêtement le caprice déréglé (Sainte-Beuve, Volupté, t. 1, 1834, p. 35).Il ne faut pourtant pas se faire illusion : les armées cédèrent aussi à l'impulsion de leurs chefs (Lefebvre, Révol. fr.,1963, p. 491).
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En partic. [Dans certaines philosophies et chez certains mystiques] L'ensemble des phénomènes du monde sensible et temporel qui cachent la réalité absolue, l'essence des choses, le spirituel. L'universelle illusion; l'illusion éternelle, perpétuelle; l'illusion du monde, de la vie. Notre meilleure espérance est en Dieu. Je le crois, je le sens par expérience, et que tout est illusion dans la vie, et cependant je ne sens pas cette consolation de la piété (E. de Guérin, Journal,1839, p. 262).♦
[Dans la religion brahmanique] Principe divin identifié à ces apparences trompeuses et désigné sous le nom de Māyā. Il faudra, si on n'a pas obtenu et conquis le nirwana, revenir de nouveau dans le monde, et être encore la proie de l'illusion (Leroux, Humanité, t. 2, 1840, p. 447) :10. Là comme ailleurs il est possible que nous soyons l'objet d'une vaste illusion, cette illusion toute puissante que les Hindous appellent Maya et dont certains pensent qu'elle est la récréation des dieux. Il n'y a de vérité ni d'absolu que dans l'invisible.
Green, Journal,1941, p. 61.
11. Pour l'Inde, pour l'Extrême-Orient, l'apparence a été l'illusion, c'est-à-dire le mal, non au sens chrétien mais au sens métaphysique. L'art fut alors conquis sur le mensonge du cosmos.
Malraux, Voix sil.,1951, p. 590.