1. Système de signes vocaux et/ou graphiques, conventionnels, utilisé par un groupe d'individus pour l'expression du mental et la communication. Le plus grand des crimes, c'est de tuer la langue d'une nation avec tout ce qu'elle renferme d'espérance et de génie (Nodier, Fée Miettes,1831, p. 139).La langue est le signe principal d'une nationalité (Michelet, Tabl. Fr.,1833, p. 3).Elle parla tout à coup dans une langue que je n'avais pas encore entendue. C'était des syllabes sonores, gutturales, des gazouillements pleins de charme, une langue primitive sans doute; de l'hébreu, du syriaque, je ne sais (Nerval, Filles feu, Octavie, 1854, p. 644).Elle disait : « Mamma! Oh! Mamma, mamma! » C'est un mot qui est le même dans presque toutes les langues de la terre (Mille, Barnavaux,1908, p. 206).Aventuriers pas très forts sur la grammaire, chancelant sur l'orthographe d'une langue encore instable, mais qui écrivaient comme ils parlaient, les bougres, parce qu'ils étaient des grands vivants, ne faisaient de rhétorique, mais avaient quelque chose à dire et le monde entier à raconter (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 15):7. On ne distingue les sensations, qu'en leur attachant des signes qui les représentent et les caractérisent : on ne les compare, qu'en représentant et caractérisant également par des signes, ou leurs rapports, ou leurs différences. Voilà ce qui fait dire à Condillac qu'on ne pense point sans le secours des langues, et que les langues sont des méthodes analytiques : mais il faut ici donner au mot langue [it. ds le texte], le sens le plus étendu. Pour que la proposition de Condillac soit parfaitement juste, ce mot doit exprimer le système méthodique des signes par lesquels on fixe ses propres sensations.
Cabanis, Rapp. phys. et mor., t. 1, 1808, p. 61.
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Loc. et expr. ♦
Langues anciennes, mortes. Langues qui ne sont plus en usage. Il consacre [Roger Bacon] la troisième partie de l'opus majus à l'utilité de l'étude des langues anciennes (grec, arabe, hébreu) (Renan, Avenir sc.,1890, p. 504):8. On sait un latin, ou, plutôt, on fait semblant de savoir un latin, dont la version du baccalauréat est la fin dernière et définitive. J'estime, pour ma part, que mieux vaudrait rendre l'enseignement des langues mortes entièrement facultatif (...) et dresser seulement quelques élèves à les connaître assez solidement, plutôt que de les contraindre en masse à absorber des parcelles inassimilables de langages qui n'ont jamais existé...
Valéry, Variété III,1936, p. 278.
♦ Langue artificielle (v. ce mot ex. 7).
♦ Langues classiques. Langues latine et grecque. Il ne parlait que l'anglais − et peut-être les langues classiques : car un petit Platon en grec (...) sortait de la poche (...) de son blazer (Malraux, Espoir,1937, p. 479).
♦ Langues étrangères, ou p. ell. du déterm., les langues. Langues vivantes étrangères. Cours, école de langues; enseignement des langues; maître (vieilli), professeur de langues; apprendre, étudier les langues; avoir le don des langues, être doué pour les langues. Il est permis de profiter des idées et des images exprimées dans une langue étrangère, pour en enrichir la sienne (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 515).La fille du colonel Jean savait un peu de français et d'anglais (...). J'ai su plus tard que sa famille comptait sur nous pour la perfectionner dans les langues étrangères (About, Roi mont.,1857, p. 36).
♦ Langue internationale. Langue utilisée ou créée pour permettre la communication entre des personnes de langues différentes. Le latin du Moyen Age était encore bien vivant : on pouvait traiter des affaires, bavarder, plaisanter, se disputer, jurer en latin! Il restait en outre la langue littéraire la plus pratiquée de l'Occident, et sa langue internationale la plus utile (P. Burney, Les Langues internationales, Paris, P.U.F., 1962, p. 12).
♦ Langue maternelle. Première langue apprise par une personne (généralement celle de la mère). Il suffit (...) à un enfant d'apprendre sa langue maternelle par l'usage, et la lecture des bons écrivains; il en étudiera les règles quand son jugement sera formé (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 306).L'idée lui vint de forcer tous les élèves de son étude à ne lui répondre qu'en latin; et il persista dans cette résolution, jusqu'au moment où ils furent capables de soutenir avec lui une conversation entière comme ils l'eussent fait dans leur langue maternelle (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Quest. du lat., 1886, p. 566).
♦ Langue nationale. Langue d'un groupe ethnique dont l'usage est reconnu légalement dans et par l'État auquel ce groupe appartient. Les dialectes, (...) les patois viennent se résoudre en une seule et même langue nationale (Durkheim, Divis. trav.,1893, p. 163).
♦ Langue officielle. Langue dont l'emploi est reconnu dans un État ou un organisme pour la rédaction des textes officiels. Les langues officielles de la cour sont le français et l'anglais (Charte Nations Unies,1946, p. 123).En Hongrie, l'effervescence demeura très vive en 1790. Des centaines de pamphlets réclamaient, au nom du « peuple », le rétablissement du régime représentatif et l'adoption du magyar comme langue officielle (Lefebvre, Révol. fr.,1963, p. 205).
♦ Langue sacrée, liturgique, religieuse. Langue utilisée pour l'exercice d'un culte religieux. Les religions, qui durent plus que les races humaines, conservent leur langue sacrée quand les peuples ont perdu les leurs (Lamart., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 107).
♦ Langue seconde (p. oppos. à langue maternelle). Un élève apprendra d'autant mieux un type de structure ou d'emploi en langue seconde qu'il en aura préalablement compris les principes en langue maternelle (E. Roulet, Lang. maternelle et lang. secondes, Paris, Hatier-Credif, 1980, p. 10).
♦ Langue vivante. Langue actuellement en usage. La plainte timorée de Lamennais : « On ne sait presque plus le français, on ne l'écrit plus, on ne le parle plus », − plainte qui ne veut rien dire, sinon : le français étant une langue vivante se modifie périodiquement (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p. 120).Que faut-il donc penser de l'évanouissement de vertu, puisque telle est la tendance irréfutable de la langue vivante et que telle est la misérable condition où je trouve réduit un mot qui fut des plus puissants et des plus beaux d'entre les mots (...)? (Valéry, Variété IV,1938, p. 166).
− [La langue envisagée du point de vue esthétique, de ses qualités d'expression] Langue pauvre, riche; langue agréable, chantante, dure, gutturale; clarté, élégance d'une langue. La langue française n'est pas la plus abondante, mais elle est la plus riche des langues. L'abondance consiste dans le nombre des mots, la richesse dans la facilité de tout exprimer (Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 346).Langue fluide, voltigeante et rythmée, qui donne à l'idée des chocs sonores, et fait du vocabulaire italien un livre de musique (Fromentin, Dominique,1863, p. 237).Esthétique de la langue française, cela veut dire : examen des conditions dans lesquelles la langue française doit évoluer pour maintenir sa beauté, c'est-à-dire sa pureté originelle (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899p. 7).Les cavaliers zézayaient à l'andalouse, langue molle, coulante et imprononcée, où on supprime les consonnes parce qu'elles demandent un peu d'effort (Montherl., Bestiaires,1926, p. 414).
− En partic. Ensemble des règles de la grammaire, des règles concernant le lexique d'un système linguistique donné. Bien connaître sa langue. Je voudrais voir son figure, dit l'Anglais qui, par quelques fautes de langue, donnait parfois, sans le savoir, un tour assez plaisant à ses discours ordinairement graves (Sand, Jeanne,1844, p. 21).
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LING. Système abstrait de signes (par opposition au discours, à l'énoncé ou à la parole, qui en sont l'actualisation). La langue est un système de pures valeurs que rien ne détermine en dehors de l'état momentané de ses termes (Saussure, Ling. gén.,1916, p. 116).La conception de la langue comme système, conduit à l'affirmation que « dans la langue il n'y a que des différences » et que « la langue est une forme et non une substance » (F. de Saussure) (Perrot, Ling.,1953, p. 116):9. L'étude du langage comporte donc deux parties : l'une, essentielle, a pour objet la langue, qui est sociale dans son essence et indépendante de l'individu (...); l'autre, secondaire, a pour objet la partie individuelle du langage, c'est-à-dire la parole (...). Sans doute, ces deux objets sont étroitement liés et se supposent l'un l'autre : la langue est nécessaire pour que la parole soit intelligible et produise tous ses effets; mais celle-ci est nécessaire pour que la langue s'établisse; historiquement, le fait de parole précède toujours.
Saussure, Ling. gén.,1916p. 37.
♦ Langue commune (v. ce mot B 1).
♦ Langue spéciale. [P. oppos. à langue courante] Langue dont le vocabulaire est propre à une activité, à un milieu. L'argot donc est la langue spéciale de la pègre, c'est-à-dire l'ensemble des mots propres aux truands, et des malfaiteurs, créés par eux et employés par eux à l'exclusion des autres groupes sociaux qui les ignorent ou ne les utilisent pas en dehors de circonstances exceptionnelles (P. Guiraud, L'Argot, Paris, P.U.F., 1958, p. 7).
♦ Langue véhiculaire*.
♦ Langue vernaculaire*.
♦ Langue vulgaire. [P. oppos. à langue savante, le latin du Haut Moyen Âge jusqu'au xviies.] Langue du peuple, du quotidien. Les clercs (...) gardèrent l'usage du latin (...). Dédaignés des gens instruits, les écrits en langue vulgaire ne s'adressaient guère qu'aux ignorants (France, Vie littér.,1890, p. 270).Descartes revient (...) à chaque instant sur cette idée que ses preuves de l'existence de Dieu dans le Discours ne valent rien parce qu'en un ouvrage écrit en langue vulgaire, où il a voulu que les femmes mêmes pussent entendre quelque chose, il n'a pas osé pousser assez loin les raisons des sceptiques (Lacroix, Marxisme, existent., personn.,1949, p. 90).
♦ [Les langues classées d'après leurs caractères distinctifs apparents] Langues analytiques*, synthétiques*; langues analogues*, transpositives*, inversives*; langues isolantes*, incorporantes*, agglutinantes*; langues formatives*, flexionnelles*.
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[Les langues classées d'après leur parenté] Langues indo-européennes, germaniques, néo-latines, romanes, slaves; langues orientales, dravidiennes, tibéto-birmanes : 10. ... une langue qui a évolué dans la discontinuité géographique présente vis-à-vis des langues parentes un ensemble de traits qui n'appartiennent qu'à elle, et quand à son tour cette langue s'est fractionnée, les divers dialectes qui en sont sortis attestent par des traits communs la parenté plus étroite qui les relie entre eux à l'exclusion des dialectes de l'autre territoire.
Saussure, Ling. gén.,1916, p. 289.
Langue mère, primitive, source. Langue qui est à l'origine d'autres langues (qui en sont dérivées). Langue fille, dérivée. Langue issue d'une autre langue. Langues sœurs. Langues dérivées d'une même langue mère. Nos langues européennes, qui ne sont que des dialectes de langues primitives (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 338).Il n'en est pas du langage comme de l'humanité : la continuité absolue de son développement empêche d'y distinguer des générations, et Gaston Paris s'élevait avec raison contre la conception de langues filles et de langues mères, parce qu'elle suppose des interruptions (Saussure, Ling. gén.,1916p. 296):11. Appliqué aux choses linguistiques, le terme de parenté est ambigu et a souvent induit en erreur des gens peu avertis des faits du langage. Certains linguistes même, ce qui est moins excusable, ont parfois pris au sérieux un simple terme métaphorique et ont dressé pour les langues des tableaux généalogiques (...). On s'est cru dès lors autorisé à dire que le français par exemple ou l'italien étaient nés du latin, et à parler de langues mères, et de langues filles, et de langues sœurs. Terminologie fâcheuse, parce qu'elle donne une idée fausse du rapport des langues entre elles. Il n'y a rien de commun entre la « parenté » des langues et la filiation ou la génération, au sens physiologique de ces termes.
Vendryes, Langage,1921, p. 349.
2. [Constr. avec un compl. prép. de ou un adj.] a) [Désignant un domaine, une matière, une science ou une technique] Système de signes spécialisés appartenant à une langue donnée. Langue juridique, mathématique, scientifique; langue de la biologie, du droit, de l'économie, de la médecine. J'ai tâché d'expliquer, mieux qu'on ne l'avait encore fait suivant moi, les raisons spéciales de l'imperfection inévitable de la langue philosophique (Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. vi).Voici deux lignes de vraie langue marine; « on cargue la brigantine, on assure les écoutes de gui; une caliourne venant du capelage d'artimon est frappée sur une herse en filin... » (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p. 90).Vouivre, en patois de Franche-Comté, est l'équivalent du vieux mot français « guivre » qui signifie serpent et qui est resté dans la langue du blason (Aymé, Vouivre,1943, p. 10).
b) [Désignant une activité, un usage, un groupe social, professionnel ou culturel] Système d'expression spécifique, particulier à un groupe de la communauté linguistique; aspect que peut prendre une langue donnée. Langue diplomatique, poétique; langue écrite, parlée; langue populaire; langue de la conversation; langue du barreau, du commerce, du théâtre. La langue du berger, du marinier, du charretier qui passe, est bien la nôtre, à quelques élisions près, avec des tournures douteuses, des mots hasardés, des terminaisons et des liaisons de fantaisie (Nerval, Filles feu,1854, p. 627).De l'emploi des grands mots dans la langue bourgeoise, par exemple cœur, − mon cœur de mère, ton cœur de fils, − appliqué à un baiser donné le soir ou à un ravaudage de chaussettes. Une langue toujours sur les échasses; à propos de rien, la solennité des mots et la solennité dramatique (Goncourt, Journal,1860, p. 842).C'est ce système que, dans la langue courante, on désigne sous le nom d'état (Durkheim, Divis. trav.,1893, p. 198):12. ... le langage donné acquis dès notre enfance, étant l'origine statistique et commune, est généralement peu propre à exprimer les états d'une pensée éloignée de la pratique (...). De là naissent les langages techniques, − et parmi eux, la langue littéraire. On voit dans toutes les littératures apparaître, plus ou moins tard, une langue [it. ds le texte] mandarine, parfois très éloignée de la langue usuelle; mais, en général, cette langue littéraire est déduite de l'autre, dont elle tire les mots, les figures, les tours les plus propices aux effets que recherche l'artiste en belles-lettres.
Valéry, Variété III,1936, p. 26.
− Littér. La langue des dieux. La poésie. Les métaphysiciens d'Élée et Empédocle d'Agrigente chantèrent les mystères de la nature dans la langue des dieux (Ozanam, Philos. Dante,1838, p. 56).
c) En partic. Langue verte. Argot. Avec eux la chanson (...) parle l'argot des faubourgs. Au xviiiesiècle, elle parlait avec Vadé, le langage poissard (...). Nos nouveaux Vadé chantent en langue verte. La langue verte est expressive (France, Vie littér.,1891, p. 393).