A.− S'abaisser jusqu'à ressembler à une bête par le visage (ex. 14, rare), par un amoindrissement important de son activité intellectuelle (ex. 9), de ses qualités morales (ex. 10, 11) : 9. Mais n'est-ce pas pitié que de voir un jeune homme au. plus brillant de sa carrière, doué d'une intelligence supérieure dont la pensée peut embrasser le monde et ses sciences, s'abâtardir, s'accroupir, s'abrutir, s'anéantir, à propos d'une coquinerie de fille, n'est-ce pas une pitié?
P. Borel, Champavert, les contes immoraux,Passereau, l'écolier, 1833, p. 186.
10. À qui fait-on plaisir en s'abrutissant jusqu'à la bête féroce? À personne, pas même à soi, et à Dieu encore moins.
A. de Musset, Comédies et proverbes,Lorenzaccio, 1834, I, 2, p. 90.
11. Smarh se met à rire lui-même et à mépriser la chair; il se relève, dresse la tête et s'écrie :
− Satan! Satan! je ne veux pas de tes joies; autre chose! allons, un cheval! une armée! des batailles! du sang! j'en veux à y noyer des peuples! crois-tu donc que je suis fait pour m'endormir dans la mollesse et m'abrutir dans les voluptés? Arrière tout cela!
G. Flaubert, Smarh,1839, p. 99.
12. J'aimerais à me rendre malade de toi, à m'en tuer, à m'en abrutir, à n'être plus qu'une espèce de sensitive que ton baiser seul ferait vivre.
G. Flaubert, Correspondance,1846, p. 310.
13. Il ne me restait ni force, ni élan, ni pénétration pour quoi que ce soit, je m'abrutissais.
G. Sand, Histoire de ma vie,t. 4, 1855, p. 214.
14. Bojo se présenta à la jeune princesse avec un album où étaient réunies toutes les caricatures du peintre de Modestie et Vanité. Leonara, avec des exclamations ravies, tournait lentement ces feuillets où le masque humain s'abrutit en museau, en mufle, en groin, en trogne.
J. Péladan, Le Vice suprême,1884, p. 15.
15. Une rumeur lui parvint, grandissante, le vacarme de voix d'hommes criant, riant et chantant. Cela venait de la remise. Ils étaient là une cinquantaine, dans la paille et le foin, occupés à boire et à manger, brailler, disputer, rire et s'abrutir, oubliant dans une orgie brutale l'horreur de leur aventure.
M. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 271.
Rem. L'allus. au subst. de base brute « animal, bête grossière » (ex. 10, 14) est exceptionnelle et peut être un arch. (ex. 10) ou le résultat d'une recherche du sens étymol. (figure étymol., ex. 14). L'im. est gén. absente du mot, resté seulement très expr. On le trouve associé à des termes péj. exprimant l'étouffement de l'intelligence et des qualités spécifiquement humaines (ex. 11 : s'endormir) ou à une série de mots indiquant les différentes manières de s'étourdir (tout l'ex. 13). Retournement mélioratif chez Flaubert (ex. 12).