C.− PHILOS. et LANG. ABSTR. : 40. Ainsi, dans les sciences mathématiques, on suppose toutes les lignes en général absolument droites, toutes les surfaces en général absolument planes, tous les solides en général absolument compactes, tous les corps en général absolument durs, le mouvement en général absolument libre; mais l'artiste qui met en œuvre les corps particuliers, ne trouve rien de tout cela, et il est obligé de tenir compte des déviations des lignes, des aspérités des surfaces, de la mollesse des corps, de la résistance des milieux, etc. etc.
L.-G.-A. de Bonald, Législation primitive,t. 1, 1802, p. 7.
41. ... en un mot, d'après les caractères auxquels l'homme est naturellement porté à attribuer une valeur qu'ils n'ont foncièrement pas, et que fait évanouir une connaissance plus approfondie de la nature des êtres, à mesure que les progrès de la science mettent en évidence des faits plus cachés et permettent à la raison de saisir des rapports plus essentiels. Ce n'est pas que, dans l'ordre réputé avec fondement le plus naturel ou le plus vrai, il n'y ait encore des traces d'un ordre relatif et artificiel, accommodé à notre manière de concevoir les choses, plutôt qu'à l'exacte représentation de ce que les choses sont intrinsèquement et absolument.
A. Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances,1851, p. 128.
42. Il était agréable de penser qu'à Claquebue l'amour sensuel n'était pas seulement un piège tendu pour la conservation de l'espèce, mais qu'il existait absolument, gratuitement, sans avoir besoin d'un prétexte.
M. Aymé, La Jument verte,1933, p. 275.
43. Il y a un premier dogmatisme, dont l'analyse réflexive nous débarrasse et qui consiste à affirmer que l'objet est en soi ou absolument, sans se demander ce qu'il est. Mais il y en a un autre, qui consiste à affirmer la signification présomptive de l'objet, sans se demander comment elle entre dans notre expérience. L'analyse réflexive remplace l'existence absolue de l'objet par la pensée d'un objet absolu, et, en voulant survoler l'objet, le penser sans point de vue, elle en détruit la structure interne.
M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception,1945, p. 236.
Rem. 1. Comme tous les mots très usités, absolument subit le phénomène de catasémie. De sa valeur orig. « d'une manière absolue », il évolue vers une valeur superl., voire purement affirmative. De même absolu évolue (mais beaucoup moins vite que absolument du fait de son riche contenu sém.) vers une grammaticalisation croissante; en effet, on assiste à un éclatement de ce mot en une multitude de petits emplois. 2. Empl. comme adv. d'affirmation, renforcement d'une affirmation (ex. 44 à 46). 3. Plus particulièrement dans la lang. parlée ou dans une lang. qui s'inspire des procédés de la lang. parlée, on trouve fréquemment absolument devant un mot répété, pour marquer une gradation par rapport au premier emploi de ce mot (ex. 47 à 51) :
44. − Tout homme qui plie devant le caprice d'une femme, fût-ce pour une futilité, est un lâche! Qu'est donc celui qui renie son Dieu, et que peut-il attendre en retour, si ce n'est le mépris, au lieu de la reconnaissance dont il se flatte?
− Vous me méprisez.
− Absolument.
− Au nom du ciel, pourquoi m'avez-vous poussé?
− Parce que. Cette raison suffirait, en voici deux autres moins bonnes : d'abord, avoir un ministre à ma dévotion pour nuire à ceux qui me déplaisent et servir ceux que j'estime. Ensuite, j'ai fait mon métier de désœuvrée. La femme qui aime exige au nom de la passion qu'on lui immole tout, l'honneur y compris. La femme qui n'aime pas l'exige également, pour la seule satisfaction de son orgueil.
J. Péladan, Le Vice suprême,1884, p. 86.
45. « − Vous êtes bien certain que Bernard Profitendieu avait trempé là-dedans?
« − Pas absolument, mais ...
« − Qu'est-ce qui vous porte à le croire?
A. Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 1119.
46. Le jour fixé pour la signature du contrat, Paule avait allumé dans la cheminée un grand feu de bois, malgré la douceur du ciel de novembre, et tout en tisonnant distraitement, elle demanda :
− Tu es absolument décidé à signer?
− Absolument.
− Pourquoi?
− Je n'ai pas le choix.
− On a toujours le choix, dit-elle.
− Pas dans ce cas.
− Si. Elle se redressa et fit face à Henri ...
S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 256.
47. Si c'est là le consolateur, on le voit tellement au-dessous du malheur même, que la misère épouvantable du Christ ressemble aussitôt, par comparaison, à de la magnificence.
Après tout, il a sa croix, le seigneur qui meurt.
Il a son église, − maintenant accoutrée d'injure, il est vrai.
Il a eu des adorateurs qui se firent écorcher vivants pour l'amour de lui. Un grand nombre d'autres, à force de le regarder, ont obtenu, pour eux-mêmes, la stigmatisation de ses plaies...
C'est le Salomon des ignominies, et l'univers a beau ne plus en vouloir, l'univers, triste et galeux, est plein de sa face.
L'autre n'a rien, absolument rien. Pas même le regard d'un désespéré, pas même l'attention des bêtes venimeuses qui grouillent, désormais, sur le Golgotha.
L. Bloy, Journal,1894, p. 107.
48. ysé. − Et quand dites-vous que vous revenez?
de ciz. − Dans un mois. Je crois. Je ne sais pas au juste.
ysé. − Vous ne savez rien au juste.
de ciz. − On est très bien à cet hôtel, vous êtes habituée aux hôtels.
ysé, les yeux baissés. − Ne partez pas.
de ciz. − Mais je vous le dis, il le faut, il le faut absolument!
ysé. − Ami, ne partez pas.
P. Claudel, Partage de midi,1reversion, 1906, II, p. 1020.
49. Hier soir un coucher de soleil ineffablement étrange et beau; ciel encombré de brumes roses, orangées; je l'admirai surtout, au passage du pont de Grenelle, reflété par la Seine chargée de chalands; tout fondait dans une harmonie chaude et tendre. Dans le tramway de Saint-Sulpice, d'où je contemplais avec émerveillement ce spectacle, je constatai que personne, absolument personne, ne le remarquait. Il n'était pas un des visages qui n'eût l'air absorbé, soucieux... Pourtant, pensais-je, certains voyagent au loin pour ne rien rencontrer de plus beau.
A. Gide, Journal,1916, p. 530.
50. − Mon frère est en effet souffrant, ce mois-ci, à la suite de toutes nos peines.
Et se rappelant que cette excuse avait déjà servi dans le Cantal :
− Il n'est pas encore bien remis, et je ne sais pas si... Mais on n'arrêtait pas l'abbé Bourret avec des points de suspension. Il avait besoin, absolument besoin de voir M. Méridier. Deux mots seulement. Il ne venait d'ailleurs que pour prendre rendez-vous avec lui.
J. Malègue, Augustin ou le Maître est là,t. 2, 1933, p. 440.
51. Je suis seule, ma mère, absolument seule, sans aucune consolation.
G. Bernanos, Dialogues des Carmélites,1948, 2etabl., 7, p. 1597.