A.− MARINE 1. [En parlant d'un navire, ou, p. méton., de navigateurs] Être porté vers la côte sous l'effet du vent et sans pouvoir se relever, s'échouer. Anton. se relever :12. Le 11, par 53 degrés 54 minutes de latitude, on vit la terre à huit ou neuf lieues de distance : on s'en tint assez éloigné pour n'avoir point à craindre de s'y affaler, et cependant assez près pour n'en pas perdre la vue; ...
Voyage de La Pérouse autour du monde,t. 1,1797, p. 138.
13. Les vents étaient fixés au sud avec une telle constance que, depuis près d'un mois, ils n'avaient pas varié de 20 degrés; et nous nous exposions, en courant ainsi vent arrière vers le fond de ce golfe, à nous affaler de manière à être obligés peut-être d'attendre le renversement de la mousson pour en sortir. Mais ce n'était pas le plus grand inconvénient; ...
Voyage de La Pérouse autour du monde,t. 3, 1797, p. 53.
14. Je pensai que ce serait jouer trop gros jeu que de me laisser affaler dans ces détroits inconnus, au risque de ne plus pouvoir m'en relever, ou d'aller me briser contre quelque chaîne de glaces ou de roches.
Dumont d'Urville, Voyage au pôle sud et dans l'Océanie,t. 2, 1842, p. 162.
15. En mettant la tête hors de l'entrepont, je fus frappé d'un spectacle sublime. Le bâtiment avait essayé de virer de bord; mais n'ayant pu y parvenir, il s'était affalé sous le vent.
F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 1, 1848, p. 357.
16. Mais ce jour-là (...) la mer y était furieuse, [dans une crique] et il fallait une impossibilité absolue de remonter dans le vent pour s'y laisser affaler...
H. Malot, Romain Kalbris,1869, p. 20.
2. [En parlant d'une pers.] Se laisser glisser (le long d'un cordage ou de qqc.) : 17. ... le docteur, profitant d'un moment d'inattention de Madame Bougnol, se cramponna vite à la corde et se laissa glisser jusqu'en bas presque sans toucher les marches de l'escalier, avec autant de rapidité qu'un matelot qui s'affale le long d'un cordage.
E. Sue, Atar-Gull,1831, p. 34.
18. Toutes les bouches retenaient leur haleine, comme si elles eussent craint d'ajouter le moindre souffle au vent qui secouait les deux misérables. Cependant le forçat était parvenu à s'affaler près du matelot. Il était temps; une minute de plus, l'homme, épuisé et désespéré, se laissait tomber dans l'abîme; le forçat l'avait amarré solidement avec la corde à laquelle il se tenait d'une main pendant qu'il travaillait de l'autre. Enfin on le vit remonter sur la vergue et y haler le matelot; ...
V. Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 450.
Rem. G. Esnault ajoute à cet ex. le commentaire suiv. : ,,Parvenir à s'affaler ne signifie rien, s'affaler n'étant pas une gymnastique, il faut plutôt parvenir à ne pas s'affaler plus bas que la corde. On s'affale sur une manœuvre en s'y laissant glisser, avec une manœuvre en se laissant descendre par son poids avec elle. Ce que fit notre hardi gymnaste fut de se déhaler le long de la corde, (ce qu'Hugo rend par « descendre avec les mains »), et il parvint près du matelot. Dans la suite du même récit Hugo écrit : « Pour être plus promptement arrivé [sur le pont], il se laissa glisser dans le gréement ». C'est là que s'affaler pouvait être de mise.`` (G. Esnault, Commentaire des Misérables lors du dépouillement I.G.L.F., 1937).
19. Le Duncan venait en travers à la lame et ne gouvernait plus. (...)
− À la machine! à la machine! cria la voix de l'ingénieur.
John se précipita vers la machine et s'affala par l'échelle. Une nuée de vapeur remplissait la chambre; ...
J. Verne, Les Enfants du capitaine Grant,1868, pp. 53-54.
20. « La remorque ne tiendra pas, dit une voix. − Quand elle tiendrait, ils [les matelots d'une barque] ne pourront jamais s'affaler le long du brick, » dit un autre.
H. Malot, Romain Kalbris,1869, p. 19.
B.− Lang. cour., fam. et souvent péj. [En parlant d'une pers. qui ne peut plus se tenir droit] Se laisser tomber d'épuisement, s'effondrer pesamment, de tout son long. Anton. se redresser :21. Au sortir de la table, Gautier s'affale sur un divan...
E. et J. de Goncourt, Journal,mars 1872, p. 880.
22. ... Gabrielle reparaît affolée, reculant, les mains en avant, comme pour se protéger, devant l'apparition blanche qui s'avance sur elle. Les bras tendus, la tête courbée, en poussant des petits cris d'effroi, elle vient, par un mouvement arrondi, s'affaler à genoux devant le trou du souffleur, ...
G. Feydeau, La Dame de chez Maxim's,1914, II, 10, p. 53.
23. Il s'affale dans un coin, entre nous, et s'étend.
H. Barbusse, Le Feu,1916, p. 216.
24. M. de Guermantes se redressa dans le fauteuil où il s'était affalé, son chapeau à côté de lui sur le tapis, examina d'un air de satisfaction les assiettes de petits fours qui lui étaient présentées.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,Le côté de Guermantes 1, 1920, p. 231.
25. Conan s'ennuie, et il a, pour mes péchés, imaginé de venir s'ennuyer dans mon bureau. Il arrive, traînant ses semelles, tête basse, bras tombants, s'affale sur une chaise, et trace, du bout de sa canne, des demi-cercles sur la poussière du plancher. Parfois il se lève, s'en va à la fenêtre, fixe longuement la rue vide et revient à mon bureau brouiller mes papiers d'un doigt dégoûté et las.
R. Vercel, Capitaine Conan,1934, p. 173.
Rem. 1. Syntagmes fréq. : s'affaler dans un fauteuil, sur un divan, sur une chaise, dans un coin. 2. Cet emploi est aussi attesté en arg., par lequel il est sans doute passé avant de pénétrer dans la lang. fam. :
26. [Le môme biffin à sa lanterne longue en papier] : T'es rien poivre (saoûl), tu ne tiens plus sur tes fumerons (jambes) (...) Tu vas t'affaler (tomber). Et il la laissait s'affaisser avec des zigzags.
J. Richepin, Le Pavé,1883, p. 75.
27. Affaler (s') (...) Tomber à terre (...) je lui ai filé un coup de saccaille et il s'est affalé.
J. Lacassagne, L'Argot du milieu, préf. de F. Carco,1928, p. 2.
−
P. compar. [En parlant d'un animal, ou d'une chose quelconque, abstr. ou concr.] Tomber pesamment : 28. Le troisième motif inspiré par la chasse représentait les eaux dans leur piège de glace. Dans les joncs qu'on eût dit recouverts de grésil, un canard s'affalait sous un coup de fusil.
F. Jammes, Géorgiques chrétiennes,1911, p. 18.
29. Le goût de la saucisse doit être fouetté, je dirai même mordu, sans quoi il s'affale, il se vautre. Je le compare à une vache. Le Saint-Émilion achèvera de l'abrutir.
J. Romains, Les Copains,1913, p. 279.
30. ... c'est miracle qu'elle [la tour Eiffel] ne soit pas déjà par terre. Elle est rouillée jusqu'à l'âme. Elle ne tient plus et va s'affaler. J'ai prévenu qui de droit. On ne veut pas me croire. Je m'en lave les mains. Mon rapport date de 1936. De l'exposition...
B. Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 204.
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S'étendre, se coucher : 31. On s'étend sur le parquet, ou plutôt, pour employer la locution familière aux élèves, on s'affale sur le géométral.
G. Claris, Notre École polytechnique,1895, p. 114.
32. Affaler (s') (...) Se coucher. J'étais vanné de cette ballade, le soir je me suis affalé de bonne heure.
J. Lacassagne, L'Argot du milieu, préf. de F. Carco,1928, p. 2.
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Avouer, dénoncer (après l'effondrement des résistances intérieures) : 33. Affaler (s') : se dit d'une personne en état d'arrestation qui dénonce ses complices. (...) Allonger (s') : même sens.
A. Le Breton, Du Rififi chez les hommes,1953, p. 237.
34. [Les policiers, à l'inculpé :] Le gars qui vous l'expédie [le stupéfiant, de Yougoslavie,] est emballé!... (...) Allons, décide-toi [à avouer]. Il s'est affalé, lui!
A. Le Breton, Razzia sur la chnouf,1954, p. 107.
35. S'affaler : avouer; dénoncer. Ex. : il s'est affalé et m'a mis dans le bain. − Il a dit ce qu'il savait et m'a rendu responsable.
Ch.-L. Carabelli,[Langue de la pègre].