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1. Emploi abs. Qui s'est pris d'amour pour une autre personne et en éprouve ou manifeste tous les signes. Être, tomber, se montrer (très, follement, éperdument) amoureux. Synon. épris :1. ... Son regard partait par les deux trous du masque et se ralliait aux yeux de Lucien, enfin le frémissement de son corps semblait avoir pour principe le mouvement même de son ami. D'où vient cette flamme qui rayonne autour d'une femme amoureuse et qui la signale entre toutes? D'où vient cette légèreté de sylphide qui semble changer les lois de la pesanteur? Est-ce l'âme qui s'échappe? Le bonheur a-t-il des vertus physiques?
H. de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes,1847, p. 25.
2. ... d'après des théories qu'elle croyait bonnes, elle voulut se donner de l'amour. Au clair de lune, dans le jardin, elle récitait tout ce qu'elle savait par cœur de rimes passionnées et lui chantait en soupirant des adagios mélancoliques; mais elle se trouvait ensuite aussi calme qu'auparavant, et Charles n'en paraissait ni plus amoureux, ni plus remué.
G. Flaubert, Madame Bovary,t. 1, 1857, pp. 48-49.
3. Nous lui demandons s'il a jamais compris une femme : « Une femme, qu'est-ce que vous voulez? C'est un oiseau. C'est impénétrable, non pas parce que c'est profond, mais parce que c'est creux ». Nous lui demandons encore s'il a jamais été pris, toqué, amoureux, s'il a eu quelque grand chagrin : « Non, je n'ai jamais aimé que mon père et ma mère et mon enfant ».
E. et J. de Goncourt, Journal,mai 1860, p. 743.
4. ... se compromettre avec deux hommes tout en adorant et n'ayant jamais adoré que son mari, avoir les chastetés d'une sainte, les allures d'une coquette, les audaces d'une courtisane, et revenir à son époux, calomniée, innocente, amoureuse et vierge, voilà des tours de force qu'une femme seule est capable d'accomplir. Cherchez un atome de logique là-dedans, bien fin si vous le trouvez. Cela est cependant, et il y a des milliers de femmes qui font les mêmes bêtises à l'heure où je parle, toujours au nom de l'amour et de l'idéal.
A. Dumas Fils, L'Ami des femmes,1864, V, 3, p. 187.
5. Ce n'est qu'un cas plus frappant dans le jeu ordinaire des affections. On devient amoureux parce que l'on se croit aimé; intelligent dès que l'intelligence vous fait signe. Réellement il y a des cercles magiques, bons et mauvais, qui enferment les gens pour toujours.
Alain, Propos,1913, p. 159.
6. − Tu es amoureux, toi? − C'est-à-dire : j'ai une petite amie. − Je comprends. Ce n'est pas l'amour ça. Tu verras plus tard. Un jour. Ça te serre le cœur comme un étau et ça te le déchire crrac! Et après ça saigne, ça saigne. Toute une vie.
R. Queneau, Loin de Rueil,1944, p. 85.
7. « ... − Il faut que je vous pose une question : est-ce qu'il y a une autre femme? − Oh! Grands dieux non! dit-il avec élan. Je ne serai plus jamais amoureux! » Je soupirai. Le pire m'était épargné! Ce visage que je ne verrais plus, cette voix que je n'entendrais plus, ils n'existaient pour personne d'autre. − Pourquoi dites-vous ça? demandai-je, on ne peut jamais savoir. Lewis secoua la tête : « Je pense que je ne suis pas fait pour l'amour, dit-il d'une voix un peu hésitante. Avant vous, aucune femme n'avait compté. Je vous ai rencontrée à un moment où ma vie me semblait très vide : c'est pour ça que je me suis jeté dans cet amour avec tant de précipitation; et puis ça a fini par finir. »
S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 515.
Rem. 1. Au sing. le mot n'implique pas nécessairement réciprocité, mais seulement désir de réciprocité :
8. De 18 à 20 ans, je fus toujours amoureux, quelquefois aimé, souvent maladroit et me donnant en spectacle par des fureurs de théâtre qui devaient bien amuser les gens médiocres dont la vanité était blessée d'avance par tout ce que je semblais promettre.
B. Constant, Journaux intimes,oct. 1804, p. 153.
9. Enfin − et ceci est plus grave − je n'ai pas la moindre défense contre les hommes ... Je serais la constante victime de mon désintéressement et de leur plaisir ... Je suis trop amoureuse, oui, j'aime trop l'amour, pour tirer un profit quelconque de l'amour ... C'est plus fort que moi, je ne puis pas demander d'argent à qui me donne du bonheur et m'entr'ouvre les rayonnantes portes de l'extase ... Quand ils me parlent, ces monstres-là ... et que je sens sur ma nuque le piquant de leur barbe et la chaleur de leur haleine ... Va te promener! ... Je ne suis plus qu'une chiffe ... Et c'est eux, au contraire, qui ont de moi tout ce qu'il veulent ...
O. Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre,1900, pp. 21-22.
Voir aussi quelques assoc. paradigmatiques fréq. hardi, timide, etc.
Rem. 2. Le mot implique gén. une idée d'émoi phys., caractéristique notamment de la phase initiale de l'amour (d'où l'aspect volontiers inchoatif de l'adj. : devenir, tomber amoureux), spéc. chez les jeunes (d'où l'ironie qui s'attache volontiers au syntagme vieillard amoureux) :
10. Je voulais seulement vous exprimer ainsi la sainteté de mes sentiments, qui ne ressemblent à aucun de ceux que les hommes ont éprouvés, d'abord parce que je suis un vieillard, puis parce que je n'avais jamais aimé. Je vous aime tant que, si vous me coûtiez ma fortune, je ne vous en aimerais pas moins. Soyez juste! La plupart des hommes n'auraient pas vu, comme moi, un ange en vous : je n'ai jamais jeté les yeux sur votre passé. Je vous aime à la fois comme j'aime ma fille Augusta, qui est mon unique enfant, et comme j'aimerais ma femme si ma femme avait pu m'aimer. Si le bonheur est la seule absolution d'un vieillard amoureux, demandez-vous si je ne joue pas un rôle ridicule.
H. de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes,1847, p. 231.
11. ... tel que vous me voyez, avec mon front chauve, mes lunettes et mon abdomen volumineux, je me sens très jeune encore; si jeune, que ... je suis amoureux ... − Vous! s'exclama le jeune homme, qui ne put réprimer un geste de surprise. − Chut! murmura M. de Beaupréau en souriant; oui, mon cher, je suis amoureux ... comme à vingt ans ... N'allez pas me trahir, au moins! − Ah! Monsieur ... − Eh! ma foi, tant pis! puisque j'avoue ... Avouons tout ... J'ai une maîtresse ... une maîtresse de dix-neuf ans, dont je suis ... un peu fou ... Fernand, à son tour, se prit à sourire; puis, comme la jeunesse est toujours un peu railleuse à l'endroit de l'avenir, il demanda : − Et elle?
P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole,t. 1, L'Héritage mystérieux, 1859, p. 197.
Rem. 3. L'état amoureux se manifeste à l'amoureux et le plus souvent aussi à son entourage par des signes caractéristiques (ex. supra); parmi ces signes la poésie joue un rôle traditionnel à toutes les époques et dans toutes les formes de civilisation. D'où le relief du poète amoureux :
12. Albertus eut bientôt brisé ce rempart frêle,
Et dans un tour de main déshabillé la belle.
− Il eut tort, c'est gâter soi-même son plaisir,
C'est tuer son amour et lui creuser sa tombe,
Hélas! Car bien souvent avec le voile tombe
L'illusion et le désir.
Il n'en fut pas ainsi. − La dame était si belle
Qu'un saint du paradis se fût damné pour elle.
− Un poëte amoureux n'aurait pas inventé
D'idéal plus parfait.
T. Gautier, Albertus,1833, p. 173.
13. Saval prononça pour la troisième fois : « Je te dis que tu es amoureux. Tu parles d'elle avec une emphase de poète et un lyrisme de troubadour. Allons, descends en toi, tâte ton cœur et avoue. » Servigny fit quelques pas sans rien répondre, puis reprit : « C'est possible, après tout. Dans tous les cas, elle me préoccupe beaucoup. Oui, je suis peut-être amoureux. J'y songe trop. Je pense à elle en m'endormant et aussi en me réveillant ... C'est assez grave. Son image me suit, me poursuit, m'accompagne sans cesse, toujours devant moi, autour de moi, en moi. Est-ce de l'amour, cette obsession physique? Sa figure est entrée si profondément dans mon regard que je la vois sitôt que je ferme les yeux. J'ai un battement de cœur chaque fois que je l'aperçois, je ne le nie point. Donc je l'aime, mais drôlement. Je la désire avec violence, et l'idée d'en faire ma femme me semblerait une folie, une stupidité, une monstruosité. J'ai un peu peur d'elle aussi, une peur d'oiseau sur qui plane un épervier. Et je suis jaloux d'elle encore, jaloux de tout ce que j'ignore dans ce cœur incompréhensible. »
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Yvette, 1884, pp. 485-486.
14. Je m'imagine que le monde actuel est réglé par l'intelligence des mâles et que nous avons laissé derrière nous l'élément d'une civilisation femelle dont quelque chose demeure peut-être dans les harems de l'Asie, dans les couvents des religieuses et sûrement dans les chants des poétesses amoureuses. La femme s'est soumise à régner dans la maison du mâle, en obéissant.
M. Barrès, Mes cahiers,t. 12, 1 juill. 1919-juin 1920, pp. 236-237.
Rem. 4. Autres syntagmes fréq. a) Adv. + amoureux : fort, passionnément, tellement, vraiment; b) Verbe + amoureux : croire qqn, devenir, rendre, sembler.
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[Avec une idée de réciprocité, notamment au plur. ou avec un sing. exprimant une dualité] Âmes amoureuses, couple amoureux : 15. Voyez! Deux âmes amoureuses qui ont longtemps pleuré, et dont un poëte m'a parlé, vivent ici dans un même sein, dans un même cœur, et ne font plus qu'un ange. Comme la couvée d'une hirondelle de printemps, tous deux ils se voient rassemblés en un seul être, sous une même aile transparente. Dans une seule poitrine tressaillent deux bonheurs, deux souvenirs, deux mondes. Moitié homme, moitié femme, pour deux vies ils n'ont qu'un souffle. Et, quand ils effleurent mes cordes, ils n'ont tous d'eux qu'une bouche pour dire : Est-ce ta voix? Est-ce la mienne? Je n'en sais rien.
E. Quinet, Ahasvérus,1833, p. 394.
16. Soudain il reçut comme un coup de couteau; on s'embrassait, là, derrière ce buisson. Il y courut; c'était un couple amoureux, dont les deux silhouettes s'éloignèrent vivement à son approche, enlacées, unies dans un baiser sans fin.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, La Femme de Paul, 1881, p. 1228.
17. ... pendant que Jules bordait Lilitte, il posa un baiser sur le front de la jeune femme, le baiser d'adieu d'un père qui cède sa fille à un gendre. Puis, les voyant, très amoureux, se regarder d'un air ivre, il les coucha, il leur souhaita à travers la porte une bonne nuit, avec beaucoup de jolis rêves.
É. Zola, Pot-Bouille,1882, p. 171.
18. Une grosse discussion à laquelle je mets fin par ces paroles : « Non, je ne crois pas au surnaturalisme entre les vivants et les morts, hélas! mais je crois au surnaturalisme entre les vivants ... L'amour, cette première vue qui fait deux êtres amoureux, ce coup de foudre qui en une seconde affole deux êtres l'un de l'autre ... Voilà du surnaturel bien certain, bien positif! »
E. et J. de Goncourt, Journal,avr. 1889, p. 954.
19. Vous ne l'aimez pas. On ne s'entend pas, dans l'amour. La vie de deux époux qui s'aiment, c'est une perte de sang-froid perpétuel. La dot des vrais couples est la même que celle des couples faux : le désaccord originel. Hector est le contraire de moi. Il n'a aucun de mes goûts. Nous passons notre journée ou à nous vaincre l'un l'autre ou à nous sacrifier. Les époux amoureux n'ont pas le visage clair.
J. Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu,1935, II, 8, pp. 140-141.
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Emploi péj. : 20. Le chef de ce gouvernement n'est pas un général à barbe blonde, monté sur un cheval noir, et qui caracole devant des foules amoureuses. Le peuple de France en a fini avec ces engouments stupides des époques heureuses.
F. Mauriac, Le Bâillon dénoué,1945, p. 434.
Rem. Pour les emplois mystiques, infra.