A.− Domaine
milit.[Le compl. d'obj. désigne un territoire, un peuple] Se rendre maître par les armes. Conquérir qqc., conquérir qqc. sur qqn, conquérir qqc. à qqn.Toute autre place à conquérir sur les Musulmans (Grousset, L'Épopée des croisades,1939, p. 54).De splendides garçons (...) qui lui [l'Angleterre] conquièrent des empires (Maurois, Les Silences du colonel Bramble,1918, p. 239):1. ... la Prusse, en deux semaines à peine, par une marche foudroyante, venait d'envahir le Hanovre, de conquérir les deux Hesses, Bade, la Saxe, en surprenant en pleine paix des populations désarmées.
Zola, L'Argent,1891, p. 104.
SYNT. Conquérir + subst. : conquérir un empire, le monde, une province, un royaume, une/la terre, l'univers; verbe + conquérir : aller, venir, vouloir conquérir; prép. + verbe + conquérir : aider, chercher à conquérir, achever de conquérir.
− Absol. Désir, gloire de conquérir. Le jour où elle [l'Italie] cessa de conquérir, elle fut conquise (Quinet, Allemagne et Italie,1836, p. 223).On cherche de moins en moins à conquérir pour conquérir (Bergson, Les Deux sources de la mor. et de la relig.,1932, p. 305).
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P. anal. [Le compl. désigne des biens matériels, sans intérêt milit. partic.] ♦ P. plaisant. Une espèce de fruitier mal clos où l'on pouvait conquérir une pomme (Hugo, Les Misérables, t. 2, 1862, p. 115).Il conquit la table de haute lutte, au milieu du tas (Zola, L'Œuvre,1886, p. 325).
♦ En gén. S'assurer la possession de quelque chose, étendre son emprise sur quelque chose. Conquérir qqc., conquérir qqc. sur qqc. Quand il [l'homme] conquiert par un effort son abri et ses aliments (Carrel, L'Homme, cet inconnu,1935, p. 276).Dans cette ville [Venise] où il faut conquérir la place sur la lagune (Viollet-le-Duc, Entretiens sur l'archit.,1872, p. 264).
B.− P. métaph., au fig., domaine
des valeurs hum.(S'efforcer de) gagner quelque chose, quelqu'un par un déploiement de qualités d'ordre social, moral, intellectuel ou affectif. 1. Domaine des valeurs soc.Conquérir de belles positions (Stendhal, Lucien Leuwen,t. 1, 1836, p. 12).Conquérir une grande situation parlementaire (Reybaud, Jérôme Paturot,1842, p. 358).Des élections (...) le moment de conquérir un siège (Maurois, La Vie de Disraëli,1927, p. 63).
2. Domaine
des valeurs morales.L'homme conquiert sa liberté et sa personnalité, mais en s'ouvrant à la vie (Maritain, Humanisme intégral,1936, p. 254):2. Mais il fallait lutter, se raidir, pour conquérir son bonheur, échapper à cette faillite d'une existence.
Moselly, Terres lorraines,1907, p. 70.
− En partic., domaine relig.Il ne seyait pas de vouloir conquérir tout de suite la perfection chrétienne (Adam, L'Enfant d'Austerlitz,1902, p. 423).Conquérir la béatitude (Gilson, L'Esprit de la philos. médiév.,t. 1, 1931, p. 125).
3. Domaine des valeurs intellectuelles.[Le compl. désigne l'esprit d'une pers. et ses diverses modalités; p. méton. cette pers. elle-même] Le désir d'attirer à lui et de conquérir les esprits (Vigny, Mémoires inédits,1863, p. 120).Conquérir son estime, mieux, son admiration (Jouve, La Scène capitale,1935, p. 62).
4. Domaine
des valeurs affectives.[Le compl. désigne le cœur, les sentiments d'une pers.; p. méton. cette pers. elle-même] a) Domaine
des relations amicales.Il conquit son affection en lui procurant quelques plaisirs et des douceurs (Balzac, Les Illusions perdues,1843, p. 559).Pour tâcher de conquérir la sympathie générale (Proust, Le Côté de Guermantes 1,1920, p. 231).Tant de bonhomie conquit le cœur du peintre (Camus, L'Exil et le Royaume,1957, p. 1639).−
En partic. [Le compl. désigne une pers. ou un groupe de pers.] (Quasi-)synon. plaire.Elle conquit maman en l'appelant « petite madame » (S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 92):3. MmeRougon se tenant à l'écart par une manœuvre de haute habileté, la belle Octavie était ainsi devenue l'alliée la plus active de l'abbé Faujas. Elle lui conquit ses amis et les amis de ses amis. Elle partait en campagne chaque matin, faisait une étonnante propagande, rien qu'à l'aide des petits saluts qu'elle jetait du bout de ses doigts gantés.
Zola, La Conquête de Plassans,1874, p. 1144.
b) Domaine
des sentiments amoureux.Un amant doit aller conquérir le cœur de sa dame (Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 3, 1813, p. 4).−
En partic. [Le compl. désigne une pers.] (Quasi-) synon. séduire.Le mariage (...) cette manière de conquérir et de s'approprier une femme (Balzac, César Birotteau,1837, p. 37).Elle redoublait de séduction, elle l'amollissait et le conquérait (Zola, L'Œuvre,1886, p. 382):4. « L'homme qui aime une femme, qui s'efforce de la conquérir, qui l'obtient et qui la prend, contracte vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis d'elle un engagement sacré. »
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Étrennes, 1887, p. 1071.
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Absol. Le succès flatteur est de conquérir, et non de conserver (Stendhal, De l'Amour,1822, p. 138).La bouche grande, infiniment séduisante, faite (...) pour conquérir (Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Yvette, 1884, p. 489):5. Aimer et posséder, conquérir et épuiser, voilà sa façon [à l'homme absurde] de connaître. (Il y a du sens dans ce mot favori de l'écriture qui appelle « connaître » l'acte d'amour.)
Camus, Le Mythe de Sisyphe,1942, p. 104.
Rem. La construction se conquérir qqc., qqn rencontrée parfois dans les emplois précités ne peut guère être considérée comme une forme d'emploi pronom., le pronom n'ayant dans ce cas qu'une fonction de compl. indir. servant à ajouter une marque subjective. Il se mit à cueillir les feuilles de vigne (...) et se conquit par là le cœur du jardinier (A. Dumas Père, Le Comte de Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 36).