1. De façon permanente ou pour une longue période : endroit inhabité. Certains départements comme le Gers et l'Ariège deviennent des déserts, mais ces déserts sont peuplés de morts. Les cimetières abandonnés des vieux villages se pressent autour d'églises, mortes elles aussi (Mauriac, Mém. intér.,1959, pp. 116).♦
Vieilli. Alexis se taisait. Un monde de pensées l'oppressaient; les déserts de la banlieue passaient derrière les vitres [du tramway], et ce spectacle rapide ajoutait à la confusion de son esprit (Lacretelle, Hts ponts,1935, p. 144):8. Je ne sais pas où est André, et lui-même doit ignorer mon adresse. Les indications à son sujet sont plutôt vagues et contradictoires (...) J'ai le plus grand désir, cependant (et malgré tous les déserts mal servis par les postes), de poursuivre une coutume de correspondance qui réduit l'éloignement à n'être plus qu'un prétexte.
Valéry, Correspondance[avec MmeGide], 1893, p. 190.
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Faire le désert. Cf. faire le vide :9. Renonçant (...) à affronter Richard Cœur de Lion en rase campagne, il [Saladin] se contentera, à la manière bédouine, de faire le désert devant lui. Le désespoir au cœur, il fit évacuer les villes de la côte, même Ascalon, par la population musulmane et, tandis que de douloureux cortèges d'émigrants prenaient le chemin de l'Égypte, il fit raser au sol les murailles des cités.
Grousset, L'Épopée des croisades,1939, p. 274.
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Spéc., GÉOGR. Zone aride, aux précipitations irrégulières ou faibles, à la végétation inexistante ou rare, aux paysages essentiellement minéraux et dépourvue d'habitat permanent. Il n'est ni triste ni gai, le désert, l'innombrable néant des sables sous le néant lucide du ciel : il est sinistre (Sartre, Mouches,1943, II, tabl. 2, 4, p. 72).Un nouveau genre de supplice débute et non des moindres, supplice du désert, des mirages et autres fantasmagories méchantes de la soif et de la réverbération (Cocteau, Diff. être,1947, p. 145):10. La morne tristesse du désert règne sur cette terre aride dont le sein gercé nourrit à peine quelques mimosas dépouillés, des cactus et des palmiers nains.
A. France, Le Crime de Sylvestre Bonnard,1881, p. 307.
11. La brise chaude, la brise d'Afrique, apportait à mon cœur joyeux l'odeur du désert, l'odeur du grand continent mystérieux où l'homme du nord ne pénètre guère.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Un Soir, 1889, p. 1127.
12. Il voulait le vrai désert, la vraie plénitude du désert, où vivaient ces vrais hommes qu'il avait entrevus, au seuil des tribus, les yeux baissés sur le chapelet.
Psichari, Le Voyage du centurion,1914, p. 44.
SYNT. a) Désert + adj. : désert immense; désert ardent, aride, brûlant, calciné, glacé; désert crayeux, pétré, pierreux, rocheux, sablonneux, salé; désert rouge; désert africain, tartare. b) Désert + subst. : désert d'argile, de granit, de pierres, de sable; désert de feu. c) Subst + désert : aridité, chaleur, immensité, silence, solitude du désert; poussière, sable, soleil, vent du désert; (les) confins du désert; bédouin, cavalier, seigneur du désert; pirate du désert; caravane, peuple du désert; armée, police du désert; animal, coursier, gazelle du désert; plante du désert; souffle du désert; expérience, magie, nostalgie, nuit, vie du désert; couleur de désert. d) Verbe + désert : fertiliser, irriguer, peupler le désert; (s')égarer, (se) perdre dans le désert.
− P. méton. Peuples monothéistes modelés par le désert (Faure, Hist. art,1912, p. 263).Ces visages tannés que le désert faisait sans âge (Gracq, Syrtes,1951, p. 283).
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Locutions a) [Désert en tant que lieu désolé, à la nature hostile] Oh! Tu sais, avec Jacques, je vivrais bien au désert (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 70).Cf. supra Sartre,
loc. cit. et
Cocteau,
loc. cit. et ex. 10.
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Au fig. Elle [l'église] n'a pas peur de la solitude; s'il le faut, elle habitera les déserts et les fera fleurir (Maritain, Primauté spirit.,1927, p. 155).Crier, parler dans le désert : Crier, parler sans pouvoir se faire entendre. Nasty [à Heinrich] les curés sont impuissants; on les aime, c'est vrai, mais s'ils condamnent la révolte, ils prêcheront dans le désert (Sartre, Diable et Bon Dieu,1951, tabl. 5, 4, p. 167).La liberté n'est pas cette Ariane sans écho, exhortant des cadavres, prêchant pour les sourds, clamant dans le désert : mais elle est communicative comme l'incendie et purifiante comme la bourrasque (Jankél., Je-ne-sais-quoi,1957, p. 95). b) [Désert en tant que lieu de refuge] Dans deux heures, le crime sera commis. L'Agha est déjà en fuite. Moi, je prends le désert ce soir. Veux-tu me suivre? (Lenormand, Simoun,1921, tabl. 13, p. 160):13. ... la fuite au désert, l'« anachorèse » (littéralement la « montée au maquis ») (...) [est] un phénomène très général dans l'Égypte gréco-romaine (criminels, débiteurs et surtout contribuables insolvables, a-sociaux de toute espèce, et non pas seulement religieux).
Marrou, Connaiss. hist.,1954, p. 66.
♦ En partic. [P. réf. à l'église* du désert] Je connaîtrais de grands combats. J'irais au désert avec les protestants (Guéhenno, Journal« Révol. », 1937, p. 84).
c) [Désert en tant que lieu de l'aventure, de l'épanouissement] D'un côté, la liberté dans le désert; de l'autre côté, les hommes (Rolland, J.-Chr.,Buisson ard., 1911, p. 1271).Cf. supra ex. 11 et 12.
d) [Désert en tant que lieu privilégié de la rencontre, du face à face avec le Créateur] Et qu'aurai-je fait toute ma vie, sinon de rechercher cette solitude qui n'était pas celle du désert où nous trouvons Dieu, mais celle du confort où nous ne trouvons que nous-mêmes? (Mauriac, Nouv. Bloc-notes,1961, p. 99).♦
[Désert en tant que lieu de l'épreuve] [Épreuve subie] Saint-Cyran, avait si l'on peut dire, la hantise de la tentation du Christ au désert (Bremond, Hist. sent. relig.,1920, p. 171).Au fig. Traversée du désert : 14. Et le chevalier parfait, le Cid du catholicisme, saint Polyeucte, sainte Théodore, saint Pierre Corneille, s'avancerait à travers les embûches du démon et les tentations éclatantes de la sainteté. Parfois, il souffrirait, dans sa traversée du désert, de cette aridité qu'ont dévoilée les mystiques, de cet abandon de Dieu que tout croyant a connu et que Corneille n'a pas ignoré...
Brasillach, Pierre Corneille,1938, p. 333.
En partic. Disparition provisoire de la scène politique. Camus, au temps de la traversée du désert, le quitte [De Gaulle] en lui demandant en quoi, à son avis, un écrivain pourrait servir la France : « Tout homme qui écrit (un temps), et qui écrit bien, sert la France » (Malraux, Les Chênes qu'on abat,Paris, Gallimard, 1971, p. 169).[Épreuve voulue, librement consentie] Anachorète au désert, pères du désert. Il n'y a des hommes supérieurs que là [dans les grandes villes]; ou dans des cellules au désert (Larbaud, Barnabooth,1913, p. 311).Chercher la sainteté (...) au désert (Maritain, Human. intégr.,1936, p. 133).P. ext. Le cloître, le couvent. Précipitée du monde au désert, elle est entrée soudaine et avec tous ses feux, dans les glaces monastiques (Chateaubr., Génie,t. 1, 1803, p. 386).Elle jeûna, passa des heures en prières, (...) Elle était toute préparée, affirmait-elle, s'il le fallait, à se retirer au désert (Boylesve, Leçon d'amour,1902, p. 244).P. anal. Continuez à m'écrire dans mon désert des nouvelles du monde. Ce n'est pas que ce désert ne soit très animé, nous passons les jours en fêtes (Chateaubr., Corresp. gén.,t. 2, 1789-1824, p. 119).Nous avons été vivre dans notre désert de Bièvres, nous avons fait, comme tant d'autres, notre petite expérience de vie phalanstérienne (Duhamel, Combat ombres,1939, p. 55).♦ [Désert en tant que lieu du miracle] Le pain tombé du ciel pour le peuple au désert, Quand sécha la rosée dont le sol fut couvert (Jammes, Géorgiques,Chants 1, 1911, p. 12).
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P. métaph. ou au fig. L'indifférence de la multitude est un désert plus sûr que le désert même (Bloy, Désesp.1886, p. 160).La vie sans toi ne me paraît plus qu'un désert (Gide, École femmes,1929, p. 1252).♦ Désert + subst.(Un) désert de larmes. Quand je relis mon journal de jeune fille, j'ai l'impression de voler dans un avion très lent au-dessus d'un désert d'ennui (Maurois, Climats,1928, p. 157).Vous n'avez pas vécu, mais il vous reste encore à vivre. Dans ce désert d'indifférence et d'oubli, n'avez-vous jamais senti, depuis vingt ans, dans le silence, votre âme protester contre vous? (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 372).
2. De façon temporaire ou occasionnelle : endroit vide, où l'on ne rencontre personne. − Cette foule, peu à peu, s'était répandue dans les terres voisines, avait fait le cercle autour de la fosse, à cent mètres. Au centre du grand vide, le Voreux se dressait. Plus une âme, plus un bruit, un désert (Zola, Germinal,1885, p. 1544):15. Dans la rue Mouffetard, ce soir-là, traînaient des odeurs de viande morte, de chat et d'urine et les invisibles flocons de la misère; comme toujours, dans ces déserts endormis de Paris. Laforgue et ses camarades ne virent s'esquiver que les derniers rôdeurs de la malchance, ces vieilles femmes qui roulent de portail en portail (...) ces noirs et ces manœuvres algériens qu'on entend chanter si tard en été sous les arbres de papier vert de la place Maubert comme sur un toit d'Afrique...
Nizan, La Conspiration,1938, p. 20.