α) [Le compl. désigne un fait, un acte, une attitude] Si les passions ne justifient pas le mal, elles l'excusent, elles l'expliquent, elles font concevoir pourquoi il existe (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 649).Il fut reconnu possesseur d'une somme de soixante francs dont il ne put justifier la provenance (France, Orme,1897, p. 193).C'est seulement lorsque j'ai agi que cette clairvoyance entre en jeu pour justifier à mes yeux ce que j'ai fait (Martin du G., Thib., Consult., 1928, p. 1126):4. ... quelle persévérance dans l'incompréhension, quelle politique de haine et de mauvais vouloir il a fallu pour obtenir de quoi justifier les brutalités, les exactions et les sévices.
Gide, Voy. Congo,1927, p. 832.
SYNT. Justifier une action, une décision, une démarche, une dépense, une entreprise, une intervention, une mesure, un procédé, une résolution; justifier une absence, une audace, un écart, un égarement, une faiblesse, une maladresse, une volte-face; justifier un blâme, un éloge, un refus, un reproche; justifier une agression, un assassinat, une calomnie; justifier la force, le meurtre, la trahison, la (non-)violence; justifier sa conduite, sa foi, sa présence, sa réputation.
♦ Proverbe. La fin justifie les moyens. V. fin1ex. 5.
♦
En partic. Justifier son existence, sa vie, sa condition. Lui donner son sens véritable. Nous sommes des maisons de prière, la prière seule justifie notre existence (Bernanos, Dialog. Carm.,1948, 2etabl., 1, p. 1585).Non seulement l'ingratitude, mais l'échec de son fils sera le démenti de tous ses espoirs : comme dans le mariage ou l'amour, elle remet à un autre le soin de justifier sa vie (Beauvoir, Deux. sexe, t. 2, 1949, p. 340):5. ... tout ce pourquoi les hommes acceptent de se faire tuer, au delà de l'intérêt, tend plus ou moins confusément à justifier cette condition [la condition d'homme] en la fondant en dignité : christianisme pour l'esclavage, nation pour le citoyen, communisme pour l'ouvrier.
Malraux, Cond. hum.,1933, p. 348.
β) [Le compl. désigne un sentiment] Il ne lui manquait rien de ce qui peut inspirer l'amour, de ce qui le justifie et de ce qui le perpétue (Balzac, Langeais,1834, p. 245).Depuis la Libération il vivait dans une espèce d'euphorie que rien ne justifiait (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 121):6. Ma joie naissait du sentiment obscur de cette hostilité, car elle justifiait l'antipathie dure, sournoise, qui avait animé mon cœur spontanément, dès que je l'avais vu, dès qu'il m'avait parlé.
Bosco, Mas Théot.,1945, p. 242.
SYNT. Justifier une appréhension, une attirance, une crainte, une inquiétude, une préférence, un pressentiment, une prévention, un soupçon; justifier la confiance, le découragement, l'enthousiasme, l'espérance, la haine, le pessimisme, la sévérité.
γ) [Le compl. désigne une manifestation de l'activité intellectuelle] Les exemples foisonnent dans la littérature actuelle qui corroborent cette hypothèse et justifient cette analogie (Bourget, Essais psychol.,1883, p. 16).Il n'en faut pas croire le titre de ce recueil; on ne trouvera rien ici qui le justifie (France, Génie lat.,1909, p. 11).Un certain nombre de certitudes à partir desquelles on peut justifier ou récuser certaines des solutions stratégiques proposées (Beaufre, Dissuasion et strat.,1964, p. 112):7. ... dire que la négation est en elle-même un acte positif justifiait par avance toutes les sortes de négation et annonçait le cri de Bakounine et Netchaiev : « Notre mission est de détruire, non de construire. »
Camus, Homme rév.,1951, p. 181.
SYNT. Justifier une assertion, un choix, une conclusion, une définition, une hypothèse, un jugement, une observation, une opinion, un précepte, un principe, un pronostic, une supposition; justifier une clause, une sentence, une thèse; justifier ses dires.
Absol. V.
injustifiable ex. 2.
−
Qqn justifie qqc. par qqc.Des chefs d'industrie (...), toujours prêts à justifier par des argumens les œuvres de leur cupidité (Say, Écon. pol.,1832, p. 380):8. Il prétendit, une fois de plus, justifier l'intervention britannique au Levant par la responsabilité que son pays, suivant lui, assumait dans tout l'Orient.
De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 194.
−
Justifier que + subj. :9. ... comment justifier que deux Franciscains : saint Jean de Capistran et saint Joseph de Cupertino aient, chacun, une messe entière, propre, et que leur frère en saint François, saint Bernardin de Sienne qui est, je présume, là-haut leur égal, ne dispose que d'un évangile et d'une oraison à part?
Huysmans, Oblat, t. 2, 1903, p. 174.
− Emploi pronom. réfl. indir. Qqn se justifie qqc.Se donner des raisons valables pour quelque chose. Canalis, pris jeune par la belle duchesse de Chaulieu se justifia donc à lui-même ses affectations en se disant qu'elles plaisaient à cette femme dont le goût faisait loi (Balzac, Modeste Mignon,1844, p. 188).Durtal réfléchissait et se sortait alors des arguments plus valides, des raisons plus péremptoires pour se justifier ses appréhensions (Huysmans, Oblat, t. 1, 1903, p. 13).
−
Emploi pronom. passif. Qqc. se justifie (par qqc.).Trouver sa raison d'être (dans quelque chose). L'inégalité des conditions ne peut se justifier ni par l'antériorité d'occupation, ni par la supériorité de talent, de service, d'industrie et de capacité (Proudhon, Propriété,1840, p. 310).N'était le nom de rue aux Jongleurs qui devait bien se justifier de quelque manière, il semblerait que les jongleurs aient été rares à Paris (Faral, Vie temps st Louis,1942, p. 109).Réalisme et forme ne se justifient que par leur solidarité avec l'âme d'un artiste créateur (Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 223).V.
chemin ex. 1 :
10. L'usage que Rimbaud fait du langage se justifie uniquement par cette volonté de saisir ce que ne saisit aucun autre des moyens dont nous disposons. « J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. »
Béguin, Âme romant.,1939, p. 386.