A. − [Dans des expr. marquant les différentes manières dont s'écoulent les larmes] 1. Verser, répandre des larmes. Pleurer. Synon. chialer (pop.).Mais, plus les catastrophes s'accumulaient, plus le bonhomme versait de larmes, et moins on avait envie de le plaindre (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 144).
2. Éclater, fondre en larmes. Se mettre à pleurer abondamment. Synon. éclater en sanglots.L'empereur était enfermé depuis longtemps avec le grand-maréchal; nous étions dans la pièce qui précédait; la porte s'ouvre; le duc de Rovigo, fondant en larmes, sanglotant, se précipite aux pieds de l'empereur; il lui baisait les mains (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 51).Et ce sujet brûlant, la présence de Jenny, cette solitude soulevaient en lui une telle émotion, que sa voix s'étrangla et que ses yeux le piquèrent comme s'il allait éclater en larmes (Martin du G., Thib., Belle sais., 1923, p. 962).♦ (Être) en larmes, dans les larmes (rare). (Être) en pleurs, en train de pleurer. Mais quand le docteur revint une heure après, il trouva la duchesse dans les larmes et presque dans une attaque de nerfs; elle ne voulait pas entendre parler du retour de Fédor à Paris (Stendhal, Lamiel,1842, p. 122).Il n'avait de cesse que sa sœur ne fût en larmes, et, si les mots n'y suffisaient pas, il s'approchait pour la brutaliser, la pincer (Gide, Si le grain,1924, p. 475).
− [P. méton.] Et elles s'engouffrèrent l'une après l'autre (...) tandis que lui, le cœur en larmes, sentant peser sur les êtres la rudesse du destin, attendait toujours (Zola, Fécondité,1899, p. 265).
3. Pleurer à chaudes larmes, toutes les larmes de son corps, de toutes ses larmes. Sangloter, pleurer abondamment et longtemps. Oh! répondit-il, ce n'est pas moi qui ai dit cela; c'est lui... (lui − c'est-à-dire Barrada, − l'entendit et tourna la tête vers nous. Il pleurait à chaudes larmes) (Loti, Mon frère Yves,1883, p. 369).Et, honteuse de sentir les larmes la gagner de nouveau, elle cacha les images, avec le mortel regret de ne pouvoir aller s'agenouiller et se soulager dans une église, en pleurant pendant des heures toutes les larmes de son corps (Zola, Argent,1891, p. 222).−
[Formulation hyperbolique, avec un verbe ou un subst. marquant une similitude avec une grande quantité d'eau, pour souligner l'abondance des larmes] Flots, torrents de larmes; larmes qui ruissellent, inondent. Mais peu après ses yeux se fermèrent, et il en coula des ruisseaux de larmes (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. 161).Tu n'es pas digne de prononcer ce nom! s'écria Trenmor dont le visage fut à l'instant inondé de larmes (Sand, Lélia,1839, p. 432):2. Elle sortit précipitamment, s'enferma dans sa loge; et là, pendant un quart d'heure, elle se soulagea le cœur du flot de rancune et de rage qui s'y était accumulé : crise de nerfs, déluge de larmes, invectives indignées, imprécations contre Christophe...
Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 408.
4. (Être) au bord, à la limite des larmes, gagné par les larmes; avoir les larmes aux yeux. Être ému, sur le point de pleurer. Elle avait, quelques minutes plus tôt, joué des préludes avec une grâce si légère que j'en avais eu les larmes aux yeux (Maurois, Climats,1928, p. 83).À force d'énervement, je me sentais moi-même tout près des larmes (Duhamel, Jard. bêtes sauv.,1934, p. 126).Elle regretta si vivement de n'être pas partie avec eux que ses yeux s'embuèrent de larmes (Roy, Bonheur occas.,1945, p. 242).
5. Retenir, réprimer, refouler, ravaler ses larmes. S'empêcher de pleurer, cacher ses larmes. De cette valse-là, je ne retire que du chagrin, une tristesse, niaise peut-être, mais si aiguë que je retiens mes larmes à grand'peine (Colette, Cl. école,1900, p. 309).Le coup porta, mais l'infirme se roidit et eut le courage de ravaler ses larmes (Guèvremont, Survenant,1945, p. 179).− [Injonction] Je peux même te jurer si tu veux, que je n'aurai jamais d'autres amoureux... garde tes larmes, garde tes larmes; tu en auras peut-être besoin encore, nounou (Anouilh, Antig.,1946, p. 142).
6. Essuyer, sécher, écraser une larme, ses larmes. (S')arrêter de pleurer. Il la prie de sécher ses larmes, qui pourraient être prises pour un augure sinistre par ses guerriers (Dupuis, Orig. cultes,1796, p. 241).Hyacinthe, de son côté, écrasait une larme dans les coins de ses yeux, et Germain alla gravement embrasser la tante (Theuriet, Mais. deux barbeaux,1879, p. 20).
7. Tirer, arracher une larme, des larmes. Attendrir, faire pleurer. Une chanson que chantait Sandrine, une chanson langoureuse qui vous tirait les larmes des yeux (Genevoix, Raboliot,1925, p. 135).Dans la grande mosquée de Damas le prédicateur Chems Ed-Dîn Yousouf arracha des larmes à la foule en décrivant les sanctuaires de la ville sainte (Grousset, Croisades,1939, p. 329).
8. Aux larmes, jusqu'aux larmes. Au point de se mettre à pleurer. Ce discours, que ce prince encore enfant leur adressa d'une voix douce et persuasive, toucha les bourgeois jusqu'aux larmes (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 4, 1821-24, p. 142).La Mouquette, apitoyée aux larmes, rentra vivement chez elle, dans la masure branlante que son père s'était aménagée au milieu des décombres (Zola, Germinal,1885, p. 1352).− En partic. Rire aux larmes. Rire à en provoquer l'écoulement des larmes. Je me chargerais volontiers de faire rire le tribunal avec ça, de le faire rire aux larmes, mais je ne me charge pas du tout d'obtenir une séparation, il faudrait autre chose (Meilhac, Halévy, Boule,1875, I, 10, p 23).Le colosse, en riant aux larmes, m'emporta dans ses bras, me déposa au creux d'un immense lit de campagne tout mou, tout chaud, où je m'endormis aussitôt (H. Bazin, Vipère,1948, p. 150).
− En partic. Passer du rire aux larmes. Manifester une instabilité morale, affective propre aux états d'anxiété, de nervosité. Depuis quelques semaines, il lui semblait qu'une transformation s'opérait en Renée; elle paraissait inquiète; elle passait brusquement du rire aux larmes; il la surprenait parfois qui attachait sur lui un regard anxieux (Arland, Ordre,1929, p. 408).
9. Crise, scène de larmes. Larmes abondantes, impossibles à réprimer, causées par un état paroxystique. Cette scène de larmes brûlantes semées sur la tête du baron, et de pieds à la glace réchauffés par lui, dura de minuit à deux heures du matin (Balzac, Splend. et mis.,1844, p. 203).Elle était au bord de la crise de larmes. Je devinai que, sous la nappe, sa main gauche était crispée sur sa serviette, sans qu'elle le sût (Abellio, Pacifiques,1946, p. 188).
10. Adj. ou part. passé + de larmes, par les larmes.Atteint, marqué physiquement par l'écoulement des larmes. Brûlé, gonflé de larmes; gonflé, marqué, rougi, tuméfié par les larmes. Des amies de ma mère me reçurent et me firent promettre de n'avoir pas trop de chagrin. Puis, après avoir lavé mes yeux rouges de larmes, j'entrai dans la chambre de la mourante (Du Camp, Mém. suic.,1853, p. 33).Je l'ai vite prise par le bras et conduite au lavabo, sa figure de pauvre mouton, barbouillée de larmes, était enflée, labourée d'ecchymoses (Frapié, Maternelle,1904, p. 140).
D. − [Ds un cont. péj.] 1. Au sing. − (Avoir) la larme à l'œil; avoir la larme facile. S'émouvoir, pleurer facilement, pour peu de chose. Un rien me met la larme à l'œil. Il y a des choses insignifiantes qui me prennent aux entrailles (Flaub., Corresp.,1850, p. 237).Gavé d'attendrissements, j'avais la larme facile et le cœur dur (Sartre, Mots,1964, p. 91).
− Verser, essuyer une larme. Manifester une douleur, un chagrin de convention. Ce fut lui qui, prenant le rôle de la mère, Étreignit au départ la belle sur son cœur, Et laissant échapper la larme de rigueur, La retint dans ses bras comme il convient de faire (Bouilhet, Melaenis,1857, p. 192).Felipone s'était approché d'elle lentement; il avait pris ses deux mains dans les siennes, et dit, en essuyant une larme hypocrite : − Dieu est sévère pour nous, madame (Ponson du Terr., Rocambole, t. 1, 1859, p. 21).
2. Au plur. Larmes de crocodile. V.
crocodile A 1 a et
infra III.
SYNT. a) [Avec un subst.] Larmes de colère, de frayeur, d'indignation, de rage; larmes de bonheur, de joie, de plaisir, de tristesse; larmes de douleur, d'épuisement, de fatigue; larmes de tendresse, de reconnaissance; larmes de désespoir, de honte, d'orgueil, de pudeur, de sympathie; larmes de convention. b) [Avec un adj.] Larmes abondantes, brûlantes, furtives, intarissables; larmes enfantines, maternelles; larmes bienfaisantes, heureuses, généreuses; larmes amères, passionnées, désespérées, sincères; grosses larmes.
Rem. Il est rare de rencontrer l'un de ces syntagmes au sing., sauf lorsque l'aut. y met un ton d'emphase poétique ou une nuance péj. On rencontre cependant : Il y avait dans ses yeux tout à fait troublés comme une larme ou d'intérêt ou de compassion, ou seulement une larme involontaire de jeune femme timide (Fromentin, Dominique, 1863, p. 129).