c) [À propos d'événements d'origine contingente] Malchance, infortune. Malheur cruel, insupportable; affreux, épouvantable, grand, horrible, immense, irréparable malheur. Vers minuit, deux soldats qui le gardaient s'endormirent, et aussitôt il se mit à prier de toute la ferveur de son âme, demandant à Dieu de le visiter dans son malheur (Thierry, Récits mérov.,t. 2, 1840, p. 240).Je sens que les ennuis et les malheurs abonderont du jour où elle se déclarera, comme tu dis, dans la famille des Atrides (Giraudoux, Électre,1937, i, 3, p. 57):3. La réussite est quelque chose qu'on ne peut pas plus éclaircir que la guigne et le malheur. Je suis assez tenté de croire qu'un beau jour la fortune s'est fatiguée de m'accabler. J'ai tellement résisté, j'ai si peu cédé au mauvais sort...
Tharaud, An prochain,1924, p. 285.
♦ Pour mon/ton/son malheur. Malheureusement pour moi/toi/lui. Le bailli de Lausanne pour mon malheur est devenu amoureux de moi (Staël, Lettres L. de Narbonne,1792, p. 95).
♦ (Avoir du) malheur au jeu. Perdre une partie. Le vieux gentilhomme vint moins souvent, le jaloux Hippolyte l'avait remplacé le soir, au tapis vert, dans son malheur constant au jeu (Balzac, Bourse,1832, p. 416).
♦ Avoir le malheur de + inf. Avoir la mauvaise idée de. En réalité, elle est amoureuse d'Émile Duffieux au point d'en devenir féroce quand on a le malheur de dire un mot contre lui devant elle (Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 139).
♦ Fam. Parle pas de malheur. Ne tiens pas de propos qui défient le sort, qui peuvent provoquer le destin. Alors bonne chance. Ivan : Parle pas de malheur (Sartre, Mains sales,1948, 2etabl., 2, p. 40).
♦ P. euphém., vieilli. Tomber dans le malheur. Être incarcéré, être condamné (aux galères). L'avoir entraîné hors de la bonne voie et (...) l'avoir fait tomber dans le malheur (Alhoy, Bagnes Rochefort,1830, p. 51).
− Loc. adv. Par malheur. Par malchance, par un fâcheux concours de circonstances. Monsieur, j'ai eu par malheur, accidents sur accidents, je ne marche pas encore et il m'a été impossible de m'occuper de quoi que ce soit (Balzac, Corresp.,1839, p. 636).Au petit malheur. Au hasard, n'importe comment (v. au petit bonheur). À partir de minuit arriva la nouvelle d'une autre tuerie, plus effroyable que la précédente, effectuée, au petit malheur, par les gardes mobiles, dans l'avenue des Champs-Élysées (L. Daudet, Police pol.,1934, p. 37).
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P. hyperb. Ennui, désagrément. Je suis arrivé sans autre malheur que la perte de mon chapeau de paille qu'un coup de vent envola dans le Rhône (Mallarmé, Corresp.,1866, p. 228).♦ Avoir un malheur à qqc. J'ai eu un malheur à ma charretterie, dont la couverture, une nuit qu'il ventait fort, s'est envolée dans les arbres (Flaub., MmeBovary,t. 2, 1857, p. 8).Il m'est arrivé malheurs sur malheurs. L'année passée (...) il m'est arrivé malheurs sur malheurs. Enfin je tue une perdrix (...). Eh bien, un maudit épervier l'enlève (Dumas père, Chasse et amour,1825, iii, 1, p. 40).Le malheur veut que. Le malheur veut qu'un vieil ami à moi m'ait engagé depuis longtemps pour ce lundi et que j'aie accepté (Balzac, Corresp.,1838, p. 504).Le malheur des malheurs, c'est que. Mais vois-tu, Durgé, le malheur des malheurs, c'est qu'il n'y a plus les foins à couper (R. Bazin, Blé,1907, p. 189).
− Exclamativement, iron. Le beau malheur! La belle affaire! Du bruit, du bruit! s'écrie Honorine. Le beau malheur que je fasse du bruit! Un peu plus je me rôtissais (Renard, Poil Carotte,1894, p. 90).
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Proverbes ♦ Le malheur ou le diable n'est pas toujours à la porte d'un pauvre homme. La chance finit par se lasser d'être défavorable. (Dict. xixes.).
♦ Un malheur ne vient jamais seul; un malheur amène toujours son frère. Il est donc bien vrai, ainsi que je l'ai souvent entendu dire, qu'un malheur ne vient jamais seul! (Crèvecœur, Voyage,t. 2, 1801, p. 49).
♦ Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Un même événement peut être fâcheux pour les uns et avantageux pour les autres. Je ne savais pas, dans ce temps, que le malheur des uns fait le bonheur des autres (Erckm.-Chatr., Conscrit 1813,1864, p. 34).
♦ À qqc. malheur est bon. Un malheur procure parfois quelque avantage imprévu. À quelque chose malheur fut bon. La première génération de Port-Royal se trouva comme vaccinée contre le rigorisme janséniste (Bremond, Hist. sent. relig.,t. 4, 1920, p. 217).
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Au plur. Succession d'événements contrariants ou parfois dramatiques. Malheurs domestiques, familiaux; les malheurs de la vie. Être accablé de malheurs (Ac.1835-1935).♦ Mettre un terme à ses malheurs. Se suicider. Je ne vous connais plus. Laissez-moi mettre un terme à mes malheurs (La Martelière, Robert,1793, v, 9, p. 71).
d) [À propos d'événements constamment contraires, interprétés comme maléfiques] Fatalité. L'école du malheur; avoir du malheur; être voué au malheur. Le vieillard sentait le vent du malheur. Ce pressentiment était juste : le malheur planait sur la maison Séchard (Balzac, Illus. perdues,1837, p. 20).Voilà donc Athalie encore tombée, écrivait Madame de Maintenon au duc de Noailles; le malheur poursuit tout ce que je protège et que j'aime... (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 5, 1859, p. 497).♦ Heur ou malheur. Bonheur ou malheur. J'ai beau être jeune, je sais bien déjà qu'heurs et malheurs ont plutôt l'air tirés au sort que logiquement répartis! (Bernanos, Dialog. Carm.,1948, 3etabl., 1, p. 1623).
♦ Jouer de malheur. Avoir une malchance persistante. Je joue de malheur, mon cher ami; j'arriverai probablement à Paris au moment où vous en partirez (Tocqueville, Corresp.[avec Reeve], 1845, p. 90).
♦ Porter malheur. Avoir une influence néfaste. Le chiffre treize, le sel renversé porte malheur. − Tiens! m'écriai-je, une améthyste. − Oui, une pierre triste, n'est-ce pas, et qui porte malheur (A. France, Crainquebille,Pierre gravée, 1904, p. 211).
♦ En compos., rare. Porte-malheur (p. oppos. à porte-bonheur). C'est la première personne que j'ai rencontrée à la porte, face bilieuse et haineuse, que je n'approche pas sans un frisson de répugnance, car je sens là mon mauvais génie et mon porte-malheur (Amiel, Journal,1866, p. 266).
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Loc. adj. De malheur ♦ Funeste, de mauvais augure. Messager, oiseau, prophète de malheur. Une chauve-souris vint se coller contre la vitre illuminée et semble coiffer Marie-Dorée d'un présage de malheur (L. De Vilmorin,Lit à col.,1941, p. 102).
♦ P. ext., fam. Maudit, exécrable. Ivrogne, sorcier de malheur. Jamais son fils ne se serait embarqué dans cette stupide exploitation des algues (...) sans cette Pauline de malheur qui lui tournait la tête (Zola,Joie de vivre,1884, p. 928).
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Absol. [Interj. qui marque le désappointement ou le désespoir] Malheur! Malheur! Malheur! Nous sommes seuls, la peste et nous! La dernière porte s'est refermée! (Camus,État de siège,1948, 1repart., p. 227).Rem. Parfois, dans le Midi, simple exclam. fam. marquant la surprise, l'admiration, etc. Oh! malheur! Qu'elle est belle! (Rob.).
♦ Ah! quel malheur! Quel malheur que... Malheur et désespoir! Malheur et misère! Honte et malheur! Malheur de malheur! etc. Monseigneur veut vous tuer. Ah! quel malheur! Monseigneur est dans le délire! (Barante,Hist. ducs Bourg., t. 2, 1821-24, p. 65).Plus de Dieu, rien au ciel! Ah! Malheur et misère! (Barbier,Iambes,1840, p. 98).L'écriture était de Jacques : un affreux griffonnage au crayon : « Aux gens qui accusent lâchement et sans preuves, à ceux-là, honte! Honte et malheur! (...) » (Martin Du G.,Thib., Cah. gr., 1922, p. 627).
♦ Malheur de moi! [Exclam. de qqn qui a l'impression d'avoir dit ou fait qqc. qui va lui attirer des ennuis] Je hasardai un conseil de transport immédiat dans un hôpital pour qu'on l'opère en vitesse. Ah! Malheur de moi! Du coup, je lui ai fourni sa plus belle réplique, celle qu'elle attendait. − Quelle honte! L'hôpital! Quelle honte, docteur! (Céline,Voyage,1932, p. 324).
♦ Voilà le malheur! Voilà ce qui est regrettable! Faut comprendre! On vous explique bien trop de choses! Voilà le malheur (Céline,Voyage,1932p. 339).
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P. iron. M. me disait que j'avais un grand malheur : c'était de ne pas me faire à la toute-puissance des sots (Chamfort,Max. et pens.,1794, p. 38).♦ Malheur(s) d'expression. Maladresse(s) d'expression (v. parole malheureuse*). Cette duchesse [la duchesse Bizarre] tenait ce titre d'un don bizarre : elle avait le malheur d'expression. En place d'un mot elle en mettait un autre. Cela donnait à ses poèmes de l'insolite et comme un air de folie douce (Cocteau,Fin Potomak,1940, p. 125).