1. Accorder, offrir quelque chose à quelqu'un (généralement pour un temps limité). Clément [VII] qui voulait l'avoir à Florence [Michel-Ange], lui prêtait toute sa faveur (Stendhal,Hist. peint. Ital., t.2, 1817, p.251).Je vous félicite de prêter les lumières de votre conscience à un tribunal plus sûr et moins faillible peut-être que tout autre (A. France,Dieux ont soif, 1912, p.106).J'ai perdu mes sept meilleurs amis. Autant dire que Dieu, sept fois, m'a fait des grâces sans que j'y prisse garde. Il me prêtait une amitié, me l'ôtait, m'en envoyait une autre et ainsi de suite (Cocteau,Poés. crit.II, 1960, p.30):1. Vous saviez bien que cette vie terrestre devait finir (...). Vous vous insurgez comme si vous alliez être dépouillé d'un bien qui vous était acquis! Mais vous saviez que notre vie nous est seulement prêtée par le bon Dieu.
Martin du G.,Thib., Mort père, 1929, p.1258.
♦ Expr. Si Dieu me/te... prête vie. Si je/tu... vis assez longtemps. Une explication en vaudevilles, que j'aurai l'honneur de leur chanter au dessert, si Dieu me prête vie jusque là; car on m'a prédit que je mourrais avant la fin d'un dîner (Jouy,Hermite, t.4, 1813, p.231).
♦ [Le suj. désigne une chose] Si vous voulez attendre encore une heure, la lune sera assez haut dans le ciel pour nous prêter sa lumière (Sand,Indiana, 1832, p.300).Le beau jardin qui vous prête ses abris d'ombre (Verhaeren,Mult. splendeur, 1906, p.66).
− Absol. Riche, épargne le pauvre, et toi, pauvre, pardonne Au riche, car le sort prête et jamais ne donne (Hugo,Pape, 1878, p.69).
−
Empl. pronom. ♦ réfl., rare. Se donner. Le visiteur (...) pour se prêter une contenance, souffla sur les verres de son lorgnon (Huysmans,En mén., 1881, p.279).
♦ réciproque. Se donner mutuellement, échanger. Ses deux communions, le protestantisme et le catholicisme, s'entre aident l'une l'autre à mieux périr. Elles se prêtent l'une à l'autre leurs doutes, leur foi, leurs églises, leurs berceaux, leurs tombeaux (Quinet,All. et Ital., 1836, p.65).L'abri que les branches et les troncs se prêtent mutuellement (Pesquidoux,Livre raison, 1928, p.21).
a) [Dans des loc. indiquant que l'on accorde son aide à qqn, que l'on soutient qqc.] −
Prêter (son) aide, assistance, son appui, son concours, son office. Un professeur dans un des lycées de Paris, nous prête son concours éclairé, toutes les fois qu'il s'agit de recommander un ouvrage nouveau d'éducation (Mallarmé,Dern. mode, 1874, p.777).Au nom des Français Libres, je m'engage (...) à prêter à l'U.R.S.S. aide et assistance dans cette lutte par tous moyens dont je dispose (De Gaulle,Mém. guerre, 1954, p.546).V.
aide ex. 7.
Empl. pronom. réciproque. [Le suj. peut désigner une chose] Les progrès de la philosophie et des sciences ont étendu, ont favorisé ceux des lettres, et celles-ci ont servi à rendre l'étude des sciences plus facile, et la philosophie plus populaire. Elles se sont prêté un mutuel appui (Condorcet,Esq. tabl. hist., 1794, p.197).♦ En partic. Prêter son concours à (un spectacle). Y participer en qualité d'interprète. Celles qui prêtaient leur concours à toutes les matinées et soirées recevaient des roses peintes par la marquise (Proust,Guermantes 2, 1921, p.375).
−
Prêter l'appui, le secours de + subst. Aider, soutenir par tel moyen, grâce à telle chose. Prêter l'appui de ses épaules (v. appui ex. 4), l'appui de son amitié. J'aurais, faute de confiance dans mes lumières, prêté le secours de ma voix à la majorité du conseil, n'eût un obstacle achevé de me retenir (Chateaubr.,Mém., t.3, 1848, p.237).Empl. pronom. réciproque. La société des femmes ne nuit qu'aux laiderons; les autres se prêtent pour leur triomphe l'appui mutuel de leur éclat (Arnoux,Roi, 1956, p.162).−
Prêter + subst. indiquant le moyen de l'action. Le même, qui, dans l'assemblée constituante, prêta sa voix à la cabale dominante (Robesp.,Discours, Guerre, t.8, 1792, p.196).Les historiens sont des menteurs privilégiés qui prêtent leurs plumes aux croyances populaires (Balzac, Cath. de Médicis, Introd., 1843, p.5). 1815-1848 (...) La chambre vote à plusieurs reprises une réduction d'impôts. D'illustres orateurs prêtent leur talent à cette cause (Stocker,Sel, 1949, p.109).♦
[Au propre et au fig., le subst. désigne une partie du corps] Prêter la/les main(s)*, prêter main-forte*. Nous lui prêtions volontiers nos épaules pour s'y appuyer jusqu'à sa porte (Vallès,Réfract., 1865, p.117).Le roi Berlu, menacé d'excommunication s'il ne prêtait pas son bras à l'Église pour la recherche des Edéniques, envoya (...) des gens d'armes (A. France,Barbe-Bleue, Mir. Gd St Nic., 1909, p.120).Empl. pronom. réciproque. Les Gobseck, les Palma, les Werbrust, les Gigonnet se prêtaient mutuellement la main; mais du Tillet n'était pas assez intime avec eux pour leur demander leur aide (Balzac,C. Birotteau, 1837, p.85).− Empl. pronom. réfl. [Équivaut à prêter la main, prêter son aide] Serviable comme pas un, toujours sur le point de se prêter pour un foin qui pressait ou pour veiller un mort (Giono,Baumugnes, 1929, p.82).
b) [Dans des loc. indiquant que l'on accorde de l'attention, de l'intérêt à qqn, à qqc.] − Prêter attention/attention + déterm. Un enfant qui rit intérieurement de son professeur tout en paraissant lui prêter la plus grande attention (Balzac,E. Grandet, 1834, p.134).Marat mangeait rapidement, sans prêter grande attention à ce qu'il avalait (Vailland,Drôle de jeu, 1945, p.38).
− Prêter l'oreille/oreille + déterm. Écouter attentivement ou favorablement; au fig., prendre en considération (v. oreille). Je me trouve le plus heureux des hommes d'avoir prêté l'oreille à ses propositions (Restif de La Bret.,M. Nicolas, 1796, p.64).L'art grec (...) a prêté une oreille complaisante à la doctrine de l'illusion totale de Gorgias (Huyghe,Dialog. avec visible, 1955, p.125).
− Rare. Prêter les yeu., les regards. Regarder avec attention. Le peintre a prêté un instant au spectacle vénitien ses regards amusés et surpris (Nolhac,Fragonard, 1931, p.90).Elle lui prêtait tantôt son regard dérobé, tantôt sa sensible oreille (Colette,Duo, 1934, p.173).
− Littér. Prêter coeur/un coeur + adj. ou part. Prendre de l'intérêt. Dans ses heures de musique, de lecture ou de promenade, elle ne prêtait plus qu'un coeur possédé par un chagrin jaloux et qui ne le quittait pas un instant (Proust,Plais. et jours, 1896, p.122).
c) Prêter foi. Croire. Mes affaires vont fort bien. Ne prête aucune foi à tous les mauvais bruits que l'on pourrait faire courir (Napoléon Ier, Lettres Joseph., 1807, p.138).
d) Domaine jur.Prêter serment. Attester solennellement l'existence ou la non-existence d'un fait ou d'un acte juridique; s'engager solennellement devant l'autorité qualifiée à dire la vérité ou à remplir sa mission selon les règles y afférant (d'apr. Roland-Boyer 1983). Prêter serment au roi; délier qqn du serment prêté. Nous avons tous prêté serment entre les mains de M. le duc. Ils ont juré foi de gentilhomme, moi, foi de procureur (Courier,Pamphlets pol., Lettres partic. 2, 1820, p.65).Quoiqu'il [Turenne] eût prêté serment de fidélité, il corrompit son armée, se déclara pour la Fronde, et marcha sur Paris (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.246).C'était le vice-consul (...) qui présidait [le mariage] et a fait prêter serment aux témoins (Larbaud,Journal, 1931, p.255).
2. Attribuer, donner à quelque chose, à quelqu'un certains caractères, certaines qualités. Aucune honte à la suite des voluptés faciles (...). L'important c'est de ne pas y prêter d'importance (Gide,Journal, 1948, p.323):2. Qui nomme-t-on gens pratiques, sinon ceux qui, ne sachant point prêter une âme aux choses, s'en prennent à cette dure écorce de vérité à laquelle seule s'attachent les esprits sans imagination et sans sympathie?
Blondel,Action, 1893, p.161.
♦ Dans le domaine
littér. ou
artist.Ne pouvant prêter de la flamme à ces tristes sires, (...) [Velasquez] leur donnait la majesté froide (...), le geste et la pose d'étiquette (Gautier,Guide Louvre, 1872, p.279).[MlleBréval] prête à la princesse captive un caractère et une âme (P. Lalo,Mus., 1899, p.93).P. ext. Donner en modèle. Michel Chrestien, un des jeunes gens du Cénacle, avait prêté pour le sénateur sa tête républicaine (Balzac,Rabouill., 1842, p.318).C'est cette vallée que j'ai peinte et c'est notre maison, dans l'Immoraliste. Le pays ne m'a pas seulement prêté son décor; à travers tout le livre j'ai poursuivi profondément sa ressemblance (Gide,Si le grain, 1924, p.392).− [Le suj. désigne une circonstance, un fait, un trait partic.] Donner par sa présence, son existence tel caractère. Marguerite a de beaux yeux meurtris auxquels les larmes prêtent un éclat bien émouvant et comme enfantin (Duhamel,Confess. min., 1920, p.171).C'était la première fois qu'Henri ne songeait pas à sourire des airs importants de Scriassine; cette grande silhouette sombre à ses côtés prêtait à la scène une inquiétante solennité (Beauvoir,Mandarins, 1954, p.296).La colère prête à ce génie si bizarrement divers [Bossuet] un don fort inattendu pour la comédie, car il fait rire de MmeGuyon (Green,Journal, 1956, p.197).
3. Attribuer à quelqu'un, sans raison fondée et souvent à tort, un caractère, un trait, un acte, une pensée. Prêter à qqn des aventures, de l'esprit, de la perfidie, de la niaiserie, ses propres sentiments, le dessein, l'intention, la pensée de (faire telle chose). Les gens doubles prêtent toujours aux autres leur duplicité (Balzac,U. Mirouët, 1841, p.16).Elle (...) contemplait la salle avec un port de tête et un sourire comme on en prête aux impératrices de légende (Chardonne,Bonheur Barbezieux, 1938, p.58):3. ... il admirait les beaux corps et les belles figures, à quelque sexe qu'ils appartinssent. Cette dernière particularité lui faisait prêter de mauvaises moeurs; car les mauvaises moeurs sont la seule chose que les gens prêtent sans réfléchir.
Cocteau,Gd écart, 1923, p.7.
♦
Absol. Cette manière d'envisager Pascal n'est pas fausse (...). En le voyant ainsi, nous y mettons involontairement du nôtre, nous lui prêtons (Sainte-Beuve,Portr. contemp., t.5, 1844, p.212).Expr. On (ne) prête (qu')aux riches. On n'attribue un caractère, des actes (qu')à ceux qui se sont déjà fait remarquer dans des domaines analogues. Tous ceux-là dont aucun chroniqueur jamais ne recueillit les paroles, qui n'écrivent pas, qui ne parlent pas, à qui les clercs, les maîtres, les gens en place, comme on prête aux riches, attribuent les pensées qu'il leur plaît (Guéhenno,Journal «Révol.», 1938, p.81).On lui prêtait à peu près tous les mots piquants qui se pouvaient faire, parce qu'on aime prêter aux riches (L. Madelin,Hist. du Consulat et de l'Empire, t.3, 1937-54ds Rob. 1985).♦ Empl. pronom. réfl. Il mettait de l'étrange dans les choses les plus banales. Il se prêtait une vie intérieure, un coeur ravagé, des ambitions (Aragon,Beaux quart., 1936, p.312).
− [Le compl. second. désigne une chose] Les hommes ne reçoivent d'ordinaire qu'avec difficultés ce qui n'est point selon les règles qu'ils prêtent à l'univers et pensent ensuite y avoir découvertes (Toulet,Mariage Don Quichotte, 1902, p.36).Un écrivain proteste contre le sens erroné que l'on prête à son ouvrage. Il souffre d'éveiller dans le lecteur d'autres sentiments que ceux qu'il voulut lui inspirer (Mauriac,Journal 2, 1937, p.123).