1. Disposition, propension à se retenir de montrer, d'observer, de faire état de ce qui met en jeu (ou d'agir lorsque cela met en jeu) quelque chose qui touche de près à la personnalité, à la vie intime de quelqu'un, ou à l'essence de quelque chose; attitude de quelqu'un qui manifeste une telle disposition. Synon. décence, honte, réserve, retenue; anton. impudeur, inconvenance, indécence.Il était travaillé d'une pudeur, l'idée qu'on pourrait dévisager la jeune fille, l'aborder, plaisanter peut-être lui causait un insupportable malaise (Zola, L'Œuvre, 1886, p. 112).Tous les vrais musiciens d'église ont éprouvé cette sorte de pudeur devant le texte sacré (Potiron, Mus. église, 1945, p. 115).Une pudeur, une gaucherie, une inhibition irrépressibles l'empêchaient de les importuner (Arnoux, Double chance, 1958, p. 213):2. Quel dommage qu'un métier comme le nôtre ne fasse au fond qu'une part si médiocre à l'inspiration! Il y a en moi quelque chose, une sorte de préjugé − pis encore − un respect humain, une pudeur, voilà le mot − oui, une pudeur imbécile qui me retient d'utiliser franchement un rêve.
Bernanos, Crime, 1935, p. 833.
SYNT. Pudeur admirable, aimable, altière, charmante, craintive, étrange, extrême, fière, gênante, hypocrite, indéfinissable, invincible, naïve, ombrageuse, orgueilleuse, première, profonde, sauvage, simple, singulière, suprême, timide, touchante, vaine, véritable, vraie; fausse, grande pudeur.
− Sans pudeur. Sans vergogne. Anton. honteusement (v. ce mot B).Le fabricant (...) sacrifie toujours sans pudeur et sans scrupule à ses calculs les intérêts de la population (Monopole et impôt sel, 1833, p. 9).En Amérique, les politiciens gaspillent sans pudeur de gros impôts (Sorel, Réflex. violence, 1908, p. 78).Une pléiade de dessinateurs (...) démarquent sans pudeur l'œuvre des artistes d'autrefois (Viaux, Meuble Fr., 1962, p. 161).
a) [Avec un compl. indiquant ce qui manifeste de la pudeur] − [Le compl. est adnominal] La pudeur de l'écrivain consiste à dévoiler le faux, et l'impudeur à dévoiler le vrai! (Lamart., Nouv. Confid., 1851, p. 7).Souvent il ne perd pas un seul de vos mouvements; mais il fait le mort, comme les insectes. Cette pudeur d'esprit est belle (Alain, Propos, 1923, p. 556).Une pudeur d'homme presque toujours plus délicate, plus sincère que la nôtre (Colette, Pays. et portr., 1954, p. 40).
− [Le compl. est un adj.] . Quant à Jos-Mari (...) par timidité et par pudeur virile, il cachait lui-même ses obscurs débats (Peyré, Matterhorn, 1939, p. 245).D'autres comme la Suisse ou les États-Unis d'Amérique, lui opposent une sorte de pudeur constitutionnelle (Mounier, Traité caract., 1946, p. 126).
b) [Avec un compl. indiquant ce qu'on se retient de faire, de dévoiler] −
[Le compl. est une prop. inf.] Un vieux cœur qui s'éprend d'un jeune être éprouve une pudeur à lui témoigner le besoin qu'il a de lui (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1501).♦ Loc. Avoir/n'avoir pas de (la) pudeur de + inf. Il y entra et ne vit pas dix personnes dans cette salle immense. Il eut quelque pudeur de se trouver là (Stendhal, Chartreuse, 1839, p. 95).Et n'ont-ils [les Français] donc pas de pudeur de montrer ainsi leur âme nue (Toulet, Tendres mén., 1904, p. 172).Certains avaient bien la pudeur de balbutier quelques regrets (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 561).
♦ Loc. Avoir/n'avoir pas la pudeur à l'endroit/vis-à-vis de qqc. En raison de la minime somme engagée par eux au début de l'entreprise, [ils] ne touchaient que très peu (...). C'est ce que la comtesse ignorait, Arnica ayant, de même qu'Amédée, grande pudeur à l'endroit du porte-monnaie (Gide, Caves, 1914, p. 764).
c) [Avec un compl. indiquant l'origine de la pudeur] Il s'arrête au seuil [de la mosquée] M. Fromentin a de ces pudeurs d'éducation et de nature (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 7, 1864, p. 116).Elle ne faisait aucune allusion à la possibilité de rencontrer Christophe. Par pudeur de souvenir et par fierté, elle ne pouvait se résoudre à le revoir (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1504).Grandeur d'âme. Le mot tombe, lentement, sur nos pudeurs de sentiment (L. Febvre, Blondel, [1940] ds Combats, 1953, p. 375).
d) [Subst. exprimant ce par quoi se manifeste la pudeur + de pudeur] Instinct, sentiment de pudeur. Des larmes de pudeur, qui roulèrent entre les beaux cils de MmeHulot, arrêtèrent net le garde national (Balzac, Cous. Bette, 1846, p. 11).MmeLeuillet fit un petit « oh! » de pudeur et se cacha encore plus étroitement dans la poitrine de son mari (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Vengeur, 1883, p. 913):3. ... il s'aperçut alors que la main de Praileau tremblait assez fort, et par un mouvement de pudeur instinctive, il recula comme s'il eût vu quelque chose qu'il ne devait pas voir.
Green, Moïra, 1950, p. 27.