THÉORIQUE, adj.
A. − [P. oppos. à pratique2, appliqué] 1. Relatif à la théorie, à l'élaboration des théories. Recherche théorique; physique théorique et physique appliquée. Établissant entre la raison théorique et la raison pratique une différence de niveau au profit de la seconde, il [Kant] privilégiait en un sens le fidéisme aux dépens du rationalisme. Je suis venu, disait-il, supprimer le savoir pour y substituer le croire, ce qui ne signifiait pas détruire la science, mais la situer (Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 96).Le jeune théoricien Robert Oppenheimer (...) fut l'inspirateur des études théoriques et pratiques qui aboutirent à la réalisation d'une des étapes les plus difficiles du problème à résoudre (Goldschmidt, Avent. atom., 1962, p. 44).− PSYCHOL. Type théorique. ,,Individu ayant un esprit analytique et une curiosité intellectuelle, aimant observer, étudier, expérimenter`` (Piéron 1973).
2. Qui consiste en théories, en connaissances abstraites. Jugement théorique et jugement pratique; exposé, raisonnement théorique; connaissances théoriques. Il fit une sorte de petit cours théorique et pratique sur le cheval en général (Maupass., Contes et nouv., t. 1, À cheval, 1883, p. 399).La philosophie s'est toujours distinguée de la science en ce qu'elle ne se contentait pas d'un simple savoir théorique, d'une construction intellectuelle, mais exigeait du philosophe une attitude pratique, une certaine manière d'être et d'exister (Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 50).
B. − [P. oppos. à expérimental, réel] 1. Conçu, défini ou considéré de manière abstraite ou idéale. Modèle, schéma théorique. Le marxisme n'a rien d'uto- pique. Par utopie il entend toute construction théorique de la cité future, quelle qu'elle soit (Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 9):... dans cette époque lointaine, je me dépensais volontiers en imaginations théoriques. En particulier, je m'interrogeais quelquefois, avec la merveilleuse liberté d'un homme qui n'aura pas affaire au réel, et qui ne passera jamais à l'exécution et à l'acte, je m'interrogeais et me répondais au sujet de l'organisation et de la composition des œuvres de grand style, et de celles qui emploient simultanément des moyens de plusieurs espèces...
Valéry, Variété III, 1936, p. 86.
− Péj. Ces bouquins à l'usage des jeunes filles chrétiennes, ces bouquins théoriques dans lesquels il n'y a rien, rien, qui, de près ou de loin, corresponde aux réalités qu'elles devront vivre (Martin du G., J. Barois, 1913, p. 282).Tout cela, du reste, assez théorique et livresque, car cette génération (...) se fabriquait volontiers des abstractions (Arnoux, Contacts all., 1950, p. 32).
2. TECHNOL., SC. Idéal. Rendement théorique d'une machine, d'un moteur. La production théorique de ce bobinoir est de 4 kg à la minute (Thiébaut, Fabric. tissus, 1961, p. 34).On fixe la consommation moyenne théorique, nécessaire à un adulte, à 3 200 cal. par jour (Traité sociol., 1967, p. 334).
C. − Qui relève d'une hypothèse, qui est du domaine de la spéculation, sans rapport avec la réalité. Synon. gratuit, hypothétique.Décision, discussion toute théorique. Je ne suis pas sans avoir observé sur moi-même telle ou telle chose, depuis quelque temps... Et, ne fût-ce qu'au point de vue purement théorique, j'aurais été très curieux de savoir si mes propres observations coïncident avec l'espèce de diagnostic involontaire dont vous parlez (Romains, Knock, 1923, iii, 9, p. 20).Je savais ceux qui avaient tué des ennemis, qui s'étaient fait précéder dans la mort par l'ombre d'un uhlan ou d'un chasseur de la garde (...) ceux pour qui la guerre avait été le combat contre un adversaire théorique, qu'ils n'avaient jamais vu (Giraudoux, Bella, 1926, p. 39).
Prononc. et Orth.: [teɔ
ʀik]. Ac. 1718: theorique, dep. 1740: thé-. Étymol. et Hist. 1. Subst. 1256 theorike « connaissance spéculative, par opposition à la pratique » (Aldebrandin de Sienne, Rég. du corps, éd. Landouzy et Pépin, p. 6, ligne 27: l'une des parties [de Phisique] est apelee theorike, et l'autre pratike), ,,v. lang.`` ds Ac. Compl. 1842; 2. adj. a) 1380 « relatif à la connaissance spéculative » (Roques t. 2, no12387); b) 1852 « qui élabore des théories, qui est tourné vers la pensée abstraite » notre raison théorique (Proudhon, Révol. soc., p. 29); c) 1859 « sans rapport avec la réalité » un résultat théorique (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 5, p. 478); d) 1901 « conçu, considéré d'une manière abstraite » (Jaurès, Ét. soc., p. 246: la faculté d'échange et de vente qui pour lui reste souvent théorique). Empr. au b. lat.theoricus « spéculatif » du gr. θ
ε
ω
ρ
ι
κ
ο
́
ς « id. », empl. subst. par la scolast., est empr. dans la lang. sav. (supra 1) et le développement des sciences appliquées entraîne un usage adj. (cf. FEW t. 13, 1, p. 306b). Fréq. abs. littér.: 735. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 134, b) 1 944; xxes.: a) 565, b) 1 629. Bbg. Baldinger (K.). Zum Übergang von der lat. zur frz. Fachterminologie im 14. Jahrht. Z. rom. Philol. 1975, t. 91, p. 488.